Le championnat du monde des rallyes vient de s’achever. Malgré une superbe lutte entre Ogier, Evans, Tanak et Neuville pour le titre, le championnat pourrait être bien plus intéressant.
Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons voir une lutte aussi serrée entre quatre pilotes d’un niveau exceptionnel pour le titre dans un championnat majeur. Sébastien Ogier, Elfyn Evans, Ott Tanak et Thierry Neuville nous ont offert une saison à suspense, tous gardant des chances d’être titrés avant la dernière manche de la saison. Bien sûr, le format réduit de ce championnat du monde 2020 qui n’a compté que 7 rallyes y est pour quelque chose mais nous, amateurs de courses, avons adoré voir cela. Cependant, cela ne fait que masquer la pauvreté du plateau WRC actuel.
Un championnat moribond, des règlements obscurs
Seulement 7 équipages ont participé à l’intégralité du championnat. Au total, ce ne sont que 20 équipages qui ont pris part à un rallye dans la catégorie reine cette saison. Parmi eux, 8 équipages n’ont participé qu’à un ou deux rallyes ! Plus généralement, entre 10 et 13 équipages WRC ont pris part à chaque rallye de ce championnat du monde (11 au Monte Carlo, 11 en Suède, 10 au Mexique, 13 en Estonie, 10 en Turquie, 13 en Sardaigne, 11 à Monza). Et cela n’a rien d’étonnant. En effet, deux constructeurs (Hyundai, Toyota) et une usine privée (M-Sport) construisent des WRC de nouvelle génération. En dehors des pilotes d’usine et des gentlemen drivers ultra-riches, personne ne peut vraiment participer à un rallye en WRC.
Dans le même temps, la catégorie WRC-2, utilisant des voitures répondant à la réglementation R5, peine aussi à faire le plein. En tout, 8 équipages seulement ont pris part à un rallye dans cette catégorie, réservée uniquement aux teams d’usine. Ce n’est pas étonnant non plus : Quel est l’intérêt pour une écurie d’usine d’engager des voitures dans une catégorie aussi peu médiatisée ? Et d’ailleurs, pourquoi engager une voiture dans un championnat avec aussi peu d’intérêt sportif ?
A côté de cela, le nouveau WRC-3 est réservé… Aux voitures de la catégorie R5, lui aussi. Les équipages privés ont donc leur propre championnat, mais utilisant les mêmes voitures que le championnat WRC-2. Officiellement, cela permet aux équipages privés de pouvoir décrocher un titre. Officieusement, cela permet aux écuries d’usine de ne plus être embêtées par les teams privés. Pour rappel, le vainqueur WRC-3 s’est classé devant le vainqueur WRC-2 au classement général sur 6 courses sur les 7 du championnat. Seul le Mexique a vu un pilote WRC-2 remporter la catégorie R5, un rallye généralement boudé par les pilotes privés du fait de son éloignement avec le continent européen d’où son originaires la plupart des pilotes.
Au final, les championnats WRC et WRC-2 ne comptent que peu d’engagés. Des pilotes comme Mads Ostberg ou Pontus Tidemand ne peuvent pas piloter avec les meilleurs, alors qu’ils ont le niveau pour. Des pilotes comme Eric Camilli, Oliver Solberg, Jari Huttunen, Yoann Bonato, ou même Andreas Mikkelsen sont relégués au WRC-3, alors même qu’ils devancent régulièrement des WRC-2 et ont aussi le niveau pour le WRC !
En résumé, le WRC n’attire plus les constructeurs, en grande partie à cause des sommes colossales nécessaires au développement d’une bonne WRC. Le WRC-2 n’attire pas non plus les constructeurs car ce n’est qu’une catégorie annexe, beaucoup moins prestigieuse et presque sans médiatisation. Tout cela engendre un nombre d’engagés famélique dans ces catégories, et repoussent les pilotes privés vers le WRC-3, troisième échelon de la hiérarchie seulement. Ces pilotes talentueux qui doivent trouver eux-mêmes des budgets pour courir voient donc leur tâche se compliquer encore plus. Alors finalement, peut-on vraiment se réjouir de l’état actuel du WRC ?
La solution est pourtant si simple
Pourtant, le WRC ne semble pas vouloir ouvrir les yeux. Cette absurde scission entre WRC-2 et WRC-3 est toute récente. Les règlements techniques du WRC doivent évoluer dans le futur vers l’électrique, donc vers plus de complication et d’argent à dépenser. Cela pourrait bien avoir raison de M-Sport, qui lutte déjà pour sa survie. Est-ce que pour autant cela pourrait attirer d’autres constructeurs ? J’en doute fort, surtout lorsque l’on voit les constructeurs annoncer les uns après les autres leur départ de la Formule E, pourtant assez économique et bien médiatisée.
Dans ce contexte, comment rendre de l’attrait au WRC ? La solution tient en trois mots : R5 pour tous ! Fermez les yeux, laissez votre imagination vous guider, et suivez-moi dans un monde parallèle. Imaginez un championnat du monde des rallyes où la catégorie reine utilise des R5. Certes, une R5 va beaucoup moins vite qu’une WRC, mais à quoi bon rouler vite s’il n’y a que quelques engagés ?
Il n’y a aucun doute possible, un championnat du monde R5 fera le plein d’engagés. Notons que cette année, au rallye de Monza, malgré ce que nous avons dit précédemment, plus de 50 équipages étaient au départ au volant de voitures de la catégorie R5 ! Au Monte Carlo, il y en avait déjà une trentaine. Et c’est bien logique : Une R5 sortie d’usine coûte aux alentours de 250 000 €, une d’occasion peut se dénicher à 100 000 €. C’est extrêmement bon marché ! De plus, une R5 peut être engagée dans n’importe quel rallye régional en France ou ailleurs, dans tous les championnats nationaux du monde, en championnats continentaux, et en championnat du monde. Potentiellement, une équipe possédant une R5 peut participer à tous les rallyes du monde !
Dès lors, on peut imaginer des usines confiant l’exploitation de leurs voitures officielles à de grosses écuries privées, comme PH Sport pour Citroën, 2C Compétition pour Hyundai, ou Tocksport pour Skoda, comme ce qu’on a pu déjà voir cette année. Actuellement, M-Sport, Skoda, Citroën, Volkswagen et Hyundai produisent des bonnes R5. On peut imaginer que Toyota développerait une R5 avec plaisir si cela leur permettait de continuer à courir au plus haut niveau en dépensant beaucoup moins qu’actuellement. Ou même, en dépensant autant, les écuries d’usine pourraient engager plus de voitures. Les écuries d’usine pourraient engager 3 ou 4 voitures sur toute la saison, des grosses écuries privées engageant aussi d’excellents pilotes pour une saison complète.
Les meilleurs pilotes de chaque championnat national pourraient alors venir défier les meilleurs pilotes mondiaux lors de leur manche à domicile, comme c’est déjà le cas, mais avec maintenant une chance de gagner ! On pourrait assister de nouveau à des exploits comme celui de François Delecour au Monte Carlo 1991, qui avait défié la légende Carlos Sainz. “C’est le meilleur pilote du monde, je fais ce que je peux“, avait-il déclaré, avant de prendre autoritairement la tête du rallye, et de tout perdre dans la dernière spéciale. J’aurais aussi pu citer Bryan Bouffier au Monte Carlo 2014, qui avait disputé la victoire à Sebastien Ogier et son imbattable Volkswagen. Au micro de France Bleu, il ne cachait pas sa joie d’avoir pu rivaliser avec les meilleurs pilotes du monde. C’est exactement ce que l’on adore voir en rallye, alors pourquoi nous en priver ?
L’exemple du TCR et du GT3/4
Le sport automobile actuel vit des temps étranges. D’un côté certaines disciplines comme le rallye semblent s’enfoncer dans une complexité qui pourrait à terme les mener à leur perte. De l’autre, certains règlements nous offrent aujourd’hui un âge d’or de certaines disciplines. Le GT3, le GT4 et le TCR sont les exemples parfait de ce vers quoi toute catégorie automobile doit tendre aujourd’hui.
Ces championnats sont basés sur deux idées simples, l’une technique et l’autre sportive. La première consiste en la régulation des coûts et des performances à atteindre, ciblées en amont. Ainsi, il ne sert à rien pour les constructeurs souhaitant s’engager dans ces disciplines de dépenser plus que le nécessaire pour atteindre ces performances. La seconde idée est que la même réglementation est présente sur des championnats locaux, nationaux, continentaux et mondiaux. Ainsi, lorsque vous acheter une CUPRA Leon TCR ou une Porsche 911 GT3-R, vous pouvez courir partout autour du globe et dans des championnats de niveau et de taille très variés. Une attractivité qui permet à ces trois catégories de compter entre 10 et 15 constructeurs dans leurs rangs en permanence.
Une idée qui est finalement celle de la réglementation R5 en rallye et qui permettrait à terme au WRC de se rendre sur plus de rallye en dépensant moins. Des R5, il y en a partout autour du monde, comme les GT3, et les teams usine n’auraient alors plus besoin de déplacer les voitures d’un continent à un autre puisqu’il suffirait de récupérer les voitures présentes sur la scène locale pour le week-end. C’est le modèle actuel de l’Intercontinental GT Challenge, un championnat peu couteux qui se rend pourtant sur 5 continents.
De même que pour les pilotes locaux s’engageant pour une manche de championnat du monde, le passage à la catégorie R5 permettrait à certains constructeurs locaux de mettre en avant leur modèle sur une manche clé. Proton, qui fabrique des voitures de rallye depuis 12 ans pour la scène asiatique, pourrait alors engager ses Iriz R5 uniquement pour un rallye de Chine ou du Japon, augmentant encore l’intérêt de chacune des manches du championnat du monde.
Et maintenant ?
Souvenez-vous. Dans les années 1990, le DTM allemand avait le vent en poupe. Ses dirigeants avaient alors choisi d’internationaliser le championnat et de rendre les voitures encore plus spectaculaires. Devenu l’Intercontinental Touring Car Championship à partir de 1995, le championnat va s’offrir des manches au Brésil ou au Japon. Pourtant, trop cher, et peu populaire en dehors d’Allemagne, le championnat disparaitra dès la fin de la saison 1996. Il faudra attendre la saison 2000 pour voir le championnat renaitre et repartir sur de bonnes bases.
Toujours en supertourisme, le WTCC a lui aussi fini par s’éteindre, faute de participant, et à cause de coûts trop élevés. En 2017, 14 voitures ont participé au championnat complet. La réglementation utilisée jusqu’alors est remplacée par la réglementation TCR, dont nous avons déjà parlé, et le championnat renommé WTCR. En 2019, 26 pilotes ont participé à l’intégralité du championnat.
Nous aurions aussi pu parler des GT, dont la réglementation GT1 a totalement disparu à cause de son coût exorbitant, ou de la réglementation GT2, remplacée par le GTE qui n’existe plus qu’en WEC, en ELMS et en IMSA. Nous aurions aussi pu parler du LMP1 dont nous venons de vivre la dernière saison, au terme d’une lente agonie initiée il y a 10 ans maintenant, alors que les grilles LMP2 faisaient le plein chaque année en WEC. Les LMP1 seront remplacées par des LMDh à peine plus rapides et plus couteuses que les actuelles LMP2, mais communes au WEC et au championnat IMSA. Nous aurions aussi pu parler du championnat de France silhouette, qui a explosé en plein vol dans les années 2000.
De nos jours, les championnats du monde qui ont du succès ont adopté des réglementations avec des voitures plus lentes, moins couteuses, et communes aux championnats mondiaux, continentaux et nationaux. C’est le cas du GT, comme du supertourisme. Malgré cette évidence, le rallye préfère se tourner vers des réglementation techniques complexes et couteuses. Pourtant, tous les éléments qui ont fait le succès de l’IGTC et du WTCR sont déjà présents dans la catégorie R5. Alors s’il-vous-plait, mesdames et messieurs de la FIA, faites des R5 la catégorie reine du WRC. Certes, nous y perdrions le défi technique, mais nous y gagnerions tellement en plaisir.
Clément Chatellier et Louis Mattlin
Crédits photos :
Atelier M-Sport : M-Sport