Frappée de plein fouet par la crise sanitaire, l’écurie française Renault voit sa position fragilisée en Formule 1. Les difficultés financières rencontrées par le groupe auront-elle raison de l’aventure du Losange ?
« Ça s’en va et ça revient ». L’amorce du refrain du tube de Cloclo suffit à résumer l’histoire de Renault en Formule 1, depuis ses débuts en 1977 jusqu’à nos jours. Il est vrai que Renault connaît une histoire atypique avec le sport automobile, faites d’heures de gloire et de silences. Comme chacun sait, c’est Renault Sport qui est en charge de l’activité sportive depuis sa création au milieu des années 70 ; résultat de la fusion entre Gordini et Alpine. À ce titre, il est juste de rappeler qu’Alpine avait tenté à plusieurs reprises d’entrer en F1 mais les tentatives de Dieppe furent vaines… Associé au pétrolier français Elf et au manufacturier Michelin, le Losange débarque dans la catégorie reine en 1977 avec… un moteur turbo au milieu d’un plateau composé de l’infatigable V8 DFV Ford-Cosworth et du 12 cylindres en V de chez Ferrari. Près de deux ans seront nécessaires pour essuyer les plâtres et faire taire les railleries de la concurrence (la fameuse « Yellow Tea Pot » du fait des nombreuses casses moteur). Une fois le moteur V6 turbo fiabilisé, la victoire de Jean-Pierre Jabouille à Dijon-Prenois en 1979 – quelque peu éclipsée par l’intense lutte entre Gilles Villeneuve (Ferrari) et René Arnoux (Renault) pour la deuxième place dans les dernières boucles – annonce un changement radical. Instigateur avant-gardiste, Renault pose son emprunte et la concurrence se dote de moteurs turbocompressés, plus performants que les V8 ou les V12.
Alain Prost écrit les belles heures de l’écurie Renault-Elf avec à sa tête, Gérard Larrousse et François Guiter, directeur de la compétition chez Elf. Le constructeur français fait ses adieux au monde de la F1 en tant que constructeur à la fin de l’année 1985, en proie à d’importantes difficultés financières, puis comme motoriste à la fin de l’année suivante.
Les années 90 signent l’âge d’or du Losange avec un V10 révolutionnaire qui offre 6 titres à Renault entre 1992 et 1997. En 2000, Renault rachète Benetton mais ce n’est que deux ans plus tard que le constructeur revient en son nom propre. Après des débuts timides, la consécration arrive en 2005 avec un changement de règlementation qui met un coup d’arrêt à l’outrageante domination de Ferrari et Schumacher. Fernando Alonso, pilote maison, s’offre deux couronnes mondiales et Renault F1 Team partage ses activités entre Enstone (Angleterre) pour la conception du châssis et Viry-Châtillon (France) pour la fabrication et le développement des moteurs. Puis, la lente descente aux enfers s’amorce dès 2007, stoppée momentanément par deux victoires d’Alonso en 2008, rentré au bercail après sa désillusion chez McLaren. Le Crashgate de Singapour, dévoilé par Nelsinho Piquet à la télévision brésilienne, renvoyé manu militari mi-2009, écorne l’image du groupe Renault-Nissan et Renault quitte la F1 de nouveau en tant que constructeur à la fin de la saison 2011, sa structure ayant été reprise par Genii Capital, un consortium luxembourgeois mené par Gérard Lopez et le retour de Lotus. La firme tricolore poursuit son activité en tant que motoriste, notamment avec Red-Bull. Ce partenariat offre quatre nouvelles couronnes mondiales aux salarié(e)s de Viry-Châtillon.
Des tensions apparaissent à partir de 2014 où les dirigeants du team autrichien entament une campagne de diabolisation du bloc français, peu fiable mais en continuelle progression. Le divorce est consumé à l’issue de la saison 2018. De son côté, Renault revient encore une fois à partir de 2016. Le plan de bataille paraît clair : le titre pour 2020 ou 2021. Les débuts sont désastreux malgré la présence de l’expérimenté Nico Hulkenberg. Il faut attendre 2018 pour voir quelques éclaircies et voir les Français obtenir la quatrième place du classement mondial. Mais un châssis raté et des développements hasardeux font régresser la firme de Louis Renault l’an passé. Après avoir « volé » l’Australien Daniel Ricciardo au patron de la marque autrichienne de boisson énergisante, Cyril Abiteboul, le patron du Renault F1 Team, pensait alors accéder au trio gagnant : Mercedes – Red-Bull – Ferrari.
Alors que la saison actuelle n’a pas encore démarré, la silly season bat son plein. La promotion de Carlos Sainz Jr chez Ferrari aux côté du Monégasque Charles Leclerc a libéré un baquet chez McLaren qui est motorisée par Renault depuis 2018 et qui accueillera le bloc Mercedes dès 2021. Une place, convoitée un temps par Sebastian Vettel, remercié par la firme de Maranello, qui finit dans l’escarcelle de Daniel Ricciardo pour qui, l’avenir incertain du Losange, a peut-être semé quelques doutes concernant son avenir. Ricciardo parti, Renault dispose d’un baquet disponible aux côtés du fraîchement recruté Esteban Ocon.
Dès lors, plusieurs scénarios sont possibles :
1) Le retour (in)attendu de Fernando Alonso. L’Asturien a triomphé lors de l’ère moderne du Renault F1 Team (2005 et 2006). Il connaît bien l’équipe mais ses prétentions salariales peuvent refroidir la Régie, bien que l’entité dirigée par Abiteboul se revendique « indépendante », notamment en période de crise.
2) Le refuge de Valterri Bottas, au cas où Sebastian Vettel viendrait à prendre sa place chez Mercedes-AMG. Le Finnois a de l’expérience mais il n’est pas reconnu pour ses qualités fédératrices. Reste la question de son salaire. Le Finlandais, vainqueur en Grand-Prix peut-il se montrer aussi gourmand que Daniel Ricciardo (30 millions de dollars par an).
3) Le recrutement d’un pilote payant pour renflouer les caisses de la Régie et poursuivre l’aventure F1. Certains noms circulent à l’instar de Nikita Mazepin, fils d’un multimilliardaire russe, mais dont les résultats dans les catégories inférieures laissent perplexes.
4) Le retrait de Renault aussi bien en tant que constructeur que motoriste à la fin de la saison 2020. Le Losange a subi de plein fouet la crise sanitaire du Covid-19 de ces derniers mois mais il doit également faire face à une crise politique au sein de ses murs. L’arrestation de l’ancien PDG, Carlos Ghosn et les retombées médiatiques et économiques qui en ont découlée. Une entente délétère entre Renault et Nissan, alliés depuis 1999 depuis plusieurs mois, n’améliore pas la sérénité du groupe et ses projets à long terme. Les ventes du groupe sont en chute libre, dues à des nouveaux modèles audacieux (Talisman, Koléos, Kadjar, par exemple) mais boudés par la clientèle. Pis encore, les déclarations récentes du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui annonçait récemment la « possible » disparition de Renault. La Régie, basée à Boulogne-Billancourt, a d’ailleurs annoncé un large plan de restructuration qui toucherait pas moins de quatre usines en France dont celles de Flins et de Dieppe – conséquence logique de l’échec commercial de la nouvelle Alpine. Difficile à digérer pour les salariés des sites concernés alors que des centaines de millions sont dépensés dans un programme aux résultats moroses.
Renault négocie activement afin d’obtenir un prêt de l’Etat – actionnaire à 15% – pour combler un trou de caisse de 2 milliards d’euros. La question est de savoir quelles seront les conditions fixées par le gouvernement français dans le cadre de ce prêt ? À noter que l’actuel manitou, Jean-Dominique Senard, devrait céder sa place à Luca de Meo pendant l’été. En toute logique, une plus grande implication dans la baisse des émissions de CO2 est une des conditions les plus probables, à l’instar des annonces faites ce jour par le gouvernement pour redresser l’industrie automobile. Une telle décision achèverait le programme F1 au détriment de la Formule E à laquelle participe Nissan. Une relocalisation de la production sera sans doute aussi à l’ordre du jour mais le bras de fer entre le complexe industriel et le gouvernement s’annonce musclé pour rapatrier les modèles “phares” (Clio, Mégane, Captur et pourquoi pas la Twingo), dont la production est délocalisée depuis plusieurs années. Le maintien des usines dans l’Hexagone pourrait se faire au prix de sacrifices financiers, la Formule 1 en tête.
Il en ressort que Renault traverse une nouvelle période trouble et son implication dans le sport automobile demeure incertaine à plus ou moins court terme. Les déclarations du Français Esteban Ocon peuvent rassurer sur le fait que la RS20 est bien née mais difficile de croire qu’elle sera en mesure de jouer les podiums face aux Mercedes, Ferrari, Red-Bull et autres Racing-Point. Les prochains mois ainsi que les décisions politiques qui seront prises permettront peut-être d’y voir plus clair dans un futur de plus en plus sombre, bien que Cyril Abiteboul, chef des opérations au sein du Renault F1 Team, martèle l’inverse. Le nouveau règlement, repoussé à 2022, compte-tenu des circonstances exceptionnelles que nous vivons, avec l’adoption des budgets plafonnés, pourrait offrir un répit de courte durée à l’industriel français mais celui-ci peut-il se permettre de « survivre » encore pendant deux ans ?
Pierre Meslait
Crédits photos - Renault F1 Team : Abcmoteur.fr - Victoire de Jabouille à Dijon-Prenois : leblogauto.com - Alain Prost, pilote Renault : alain-prost.com - Vettel sur Red-Bull en 2011 : auto123.com - Daniel Ricciardo chez Renault : motorsport.com - Renault F1 Team : quel avenir ? : f1.auto-moto.com - Nissan en Formule E : Confidential-Renault - Rideau pour Renault ? : Autohebdo
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