Nous nous apprêtons à vivre la première course sprint de l’Histoire de la F1, et je suis persuadé que le spectacle ne sera pas au rendez-vous. Voici pourquoi.
Depuis plusieurs années, la F1 fait face à un dilemme. En effet, depuis les débuts de l’ère turbo hybride en 2014, il semble que le spectacle a déserté les circuits, c’est du moins ce qu’il ressort lorsque l’on tend un micro aux fans de la discipline. Peu de suspense, peu de spectacle en piste, peu d’intérêt à suivre les courses. Alors Liberty Media, désireuse de rentabiliser son nouveau jouet, a décidé de dépoussiérer les règles de la F1 pour ramener le sacro-saint spectacle en F1. Pour cela, plusieurs mesures ont déjà été prises, dont le tant attendu plafonnement des budgets, et de nouvelles règles aérodynamiques pour 2022.
Mais quand on est américain, on veut des résultats right now, motherf*cker. Sans même attendre de voir si les mesures citées ci-avant produisent l’effet escompté, Liberty Media a décidé de tester cette année, en plein milieu d’un championnat fortement disputé entre deux pilotes au sommet de leur art, une nouvelle fantaisie : Les courses de qualification. L’idée ? Remplacer les EL2 par une séance de qualification telle qu’on la connait aujourd’hui, et remplacer la séance de qualification du samedi par une course sprint, de 100 km dont le vainqueur devient le poleman (ou polewoman un jour, espérons-le) du GP. Ceci dit, je ne crois pas vraiment que cela ramènera du spectacle, et Lewis Hamilton himself non plus d’ailleurs. Pourquoi ? Voyons cela.
Parce qu’il n’y a rien à gagner et tout à perdre
Pour comprendre un peu ce qu’il risque de se passer, il faut se projeter un peu. Faisons ensemble une expérience de pensée. Imaginons une séance de qualification du vendredi comme celle que nous connaissons habituellement. Les pilotes les plus rapides devant, et les plus lents derrière. Logique. Imaginons un Verstappen qualifié derrière Hamilton, avec un peu moins de rythme que le Britannique. Verstappen aurait donc tout intérêt à dépasser Hamilton lors de la course sprint pour l’élancer devant lui pour le GP, pas vrai ? En réalité, pas vraiment. Si Verstappen part devant Hamilton lors du GP, on peut penser que Hamilton réussira à reprendre la tête de la course sans trop de souci, grâce à sa stratégie, ou en tentant un dépassement en piste. Pour Verstappen (ou n’importe qui d’autre d’ailleurs), il n’y a donc pas grand-chose à gagner. En effet, pour n’importe quel pilote qualifié autour de sa position « normale », il n’y aura au mieux que quelques places à grapiller sur la grille de départ, quelques places qui ne serviront pas à faire une différence flagrante le dimanche.
Pire encore, pour gagner une ou deux places sans grande valeur pour le dimanche, il faudrait prendre de gros risques, tenter des dépassements en piste, et jouer roue contre roue. Imaginons maintenant qu’un accrochage survienne. Le pilote qui a tenté de gagner une place se retrouverait alors piéton pour la fin de la qualification, et surtout devrait partir dernier le dimanche. Pour gagner bien peu de choses, le risque est alors de partir dernier pour la course, ce qui s’avérerait désastreux pour tout pilote souhaitant signer un bon résultat !
Peu à gagner, mais beaucoup à perdre pour quiconque prendra un peu de risques. Tous les ingrédients sont là pour que tout le monde se contente de passer la course tranquillement sans rien tenter, que ce soit en attaque ou en défense…
Parce que ça crée moins d’incertitude
Un des intérêts du format actuel de qualifications, c’est que des « gros clients » peuvent se faire piéger en Q1. Un pilote favori pour la pole peut avoir un ennui mécanique, enchainer deux tentatives ratées, être gêné par un autre concurrent, ou terminer dans le rail de sécurité dès sa première tentative, comme Lewis Hamilton au Brésil en 2017. La sanction est alors de partir dernier le dimanche, condamnant le pilote qui se voyait jouer la victoire à effectuer une course à handicap, à remonter le peloton, pour espérer une place d’honneur au mieux. Cela ajoute tension et suspense sur la séance du samedi.
Mais avec le nouveau format, tout ça, c’est fini ! En effet, un top pilote qui se fait piéger en Q1 le vendredi après-midi aura le loisir de remonter une bonne partie du peloton le samedi après-midi lors de la course sprint. Dépasser des Haas, des Williams, des Alfa Romeo qui ne veulent pas ruiner leurs chances pour le dimanche, voilà qui s’annonce aisé. L’incertitude qui était introduite par le système de qualifications actuel n’existe donc plus vraiment. Les top teams sont donc désormais assurés de partir dans le top 10, quoi qu’il arrive.
Parce que le format de la course sprint ne se prête pas au spectacle
Cent kilomètres soit un tiers de GP, pas d’arrêt au stand. Ai-je besoin d’en dire plus ? Oui ? Bon. La distance à parcourir lors de ces courses sprint sera de 100 km, soit à peu près un tiers du GP. Les règles n’imposent aucun arrêt au stand durant la course sprint. Dans ce cas, on imagine aisément que pilotes qui ne souhaitent pas prendre de risque (c’est-à-dire tous) vont choisir le train de pneus le plus durable pour aller au bout de la course sans s’arrêter.
Et on peut même aller plus loin : Si l’enjeu est avant tout de terminer la course sans embûche, attaquer ne sera pas une option pour être sûr d’amener son train de Pirelli jusqu’au drapeau à damiers. Les pilotes auront beau avoir deux trains de pneus supplémentaires à leur disposition pour cette course sprint, je n’imagine aucun pilote tenter une stratégie à un arrêt sur une distance aussi courte, avec autant de voitures à dépasser ensuite. On pourrait voir ce genre de stratégie en fond de grille, peut-être, pour espérer profiter d’un éventuel safety car, mais absolument pas pour les pilotes dans le top 10, et ceux qui souhaitent y rentrer.
Parce que le format d’un week-end de GP ne s’y prête pas
Vendredi, les essais ; samedi, les qualifications ; dimanche, la course. Le format d’un week-end de GP est carré, et on l’aime. C’est un repère immuable, un phare qui nous permet de nous y retrouver dans ce monde en constante fuite en avant. OK, j’exagère un peu (qui a dit beaucoup ?). Toujours est-il qu’un GP est une course que l’on peut difficilement réformer. Ainsi, le poleman doit forcément être celui qui a réalisé la meilleure performance en qualifications. Il est donc impossible de mettre en place des grilles inversées.
Si l’on regarde la F2 ces dernières années (avant 2021), le spectacle était intense avec une qualification qui déterminait l’ordre de départ de la course principale, et une course sprint dont l’ordre de départ était défini par l’ordre d’arrivée de la course principale, mais en inversant la première partie de la grille. Et cela crée effectivement du spectacle, encore plus aujourd’hui où deux courses sur les trois du week-end sont à grille inversée ! On peut aussi prendre l’exemple du BTCC, où trois courses courtes sont courues à chaque week-end, avec la dernière en grille inversée.
Mais la F2 n’est pas la F1. Le BTCC n’est pas la F1. La F2 et le BTCC ne construisent pas leurs week-ends de courses autour d’un GP de 300 km, qui est devenu avec le temps, une véritable signature. Le GP qui a lieu le dimanche est une course assez longue comparée à celles d’autres disciplines, et surtout, c’est la seule du week-end. Si les week-ends de F1 étaient composés de plusieurs courses, on aurait pu imaginer une course sprint à grille inversée, mais avec le format actuel, historique, c’est impossible.
Parce que ce n’est pas la première fausse bonne idée expérimentée
Des fausses bonnes idées, la FOM puis Liberty Media en ont eues des tonnes. Le système de qualifications actuel, qui date de 2006, a connu quelques ajustements depuis, mais fonctionne plutôt bien. On se demande donc bien ce qui a pris aux autorités de vouloir modifier ce système début 2016, un peu à la va-vite. Pour rajouter du suspense jusqu’au bout de chaque séance, il a été décidé d’éliminer un pilote toutes les 90 secondes pour les forcer à rester en piste et à tenter d’améliorer leur marque durant toute la durée de la séance. C’est pourtant l’effet inverse qui s’est produit, avec des pilotes lents éliminés rapidement, et les pilotes les plus rapides qui n’avaient donc plus besoin de rester en piste. Notamment, en Q3, on a vu Hamilton célébrer sa pole alors qu’il restait encore presque 2 minutes de séance à courir. Après deux séances de qualification consternantes, le format précédent a été remis en place.
Deux ans plus tôt, en 2014, notre bon vieux Bernie avait décidé que le championnat devait se jouer à la dernière course pour remonter les audiences. Comment s’assurer que le titre est attribué à l’issue de la dernière manche de la saison ? En réduisant le nombre de courses, car avec 22 courses par an, il est évident que les pilotes ont plus de chances de créer un écart de 25 points ? Que nenni, mes amis ! En doublant les points lors de la dernière course pardi ! Dis donc Bernie, pourquoi ne pas même dire que toutes les courses n’ont aucune valeur pour le championnat, exceptée la dernière ? Plus sérieusement, pourquoi décider qu’une victoire à Abu Dhabi a deux fois plus de valeur qu’une victoire à Monaco, Spa, Suzuka ou Sao Paulo ?
Bref, la F1 est un sport qui a une histoire encore courte, mais lourde à porter. Modifier le format des GP doit se faire en respectant les traditions, au risque de dénaturer le sport. Des dizaines de championnats proposent des courses sprint, à grille inversées, etc… Pourquoi vouloir à tout prix changer le format des week-ends de course, au risque de dénaturer le sport, quand tant de choses peuvent être faites en dehors de la modification des règles sportives ? Nous étions enthousiastes à l’idée de voir Liberty Media caper les budgets, pour ramener de l’équité dans le sport, et nous étions enthousiastes à l’idée de voir Liberty Media modifier les règles aérodynamiques pour permettre aux voitures de se suivre et de se dépasser en piste. Mais modifier le format des GP n’est absolument pas une bonne idée. Est-ce qu’on aurait l’idée de modifier le format d’un match de foot ?
Et maintenant ?
Comme pressenti par Lewis Hamilton, et pas mal d’observateurs de la F1, nous y-compris, il y a fort à parier que les courses sprints n’ajouteront qu’une étape supplémentaire peu intéressante à des week-ends de GP dont le point d’orgue doit rester la course du dimanche après-midi. On aurait d’ailleurs pu aussi argumenter que ces courses qualifs dévaluent un des exercices les plus purs qui existent dans notre cher sport : celui du tour chronométré. Si on aime les batailles roues contre roues, on aime aussi voir les pilotes tout donner sur un tour, pour tirer le meilleur d’eux-mêmes et de leur machine. Et avec les courses sprint, cela n’aura plus guère d’intérêt.
Ceci dit, on peut spéculer tant que l’on veut sur ce nouveau format, aimer cette fraicheur qu’il apporte ou regretter que les traditions soient bafouées, il n’en reste pas moins que le verdict tombera bientôt : Avec trois séances prévues cette année, dont la première à Silverstone ce week-end, nous serons bientôt fixés.
Louis Mattlin
Crédits photo :
Grille de départ : https://laptrinhx.com/
Pneus Pirelli : fia.com