Avec les annonces récentes de course à Miami et Djeddah par Liberty Media, il est temps de se pencher sur une voie prise par la Formule 1 qui pourrait à terme devenir préjudiciable pour les fans : les “destination races”
La scène se déroule en 2009 et parait alors anodine. CVC et Bernie Ecclestone présentent leur dernier joyau, le Yas Marina Circuit, qui vient compléter le cycle de ces circuits nouvelles génération entamé 5 ans plus tôt avec Shanghai, Istanbul, Valence, Singapour et Abou Dabi. Aux côtés de Bernie Ecclestone et des autorités locales se trouve Philippe Gurdjian. Le français jubile et il a de quoi car cette vision du calendrier F1 vient en partie de lui.
Vous avez dit voyages ?
Le point commun entre les circuits que nous avons cité c’est leur nom. Exit les Silverstone, Spa-Francorchamps ou Monza, ici les circuits portent les noms des mégapoles près desquelles ou dans lesquelles ils s’installent. Et comme nous le disions juste au dessus, ce phénomène n’est pas le fruit du hasard mais celui d’une stratégie bien pensée par l’ami Gurdjian.
Un peu plus tôt au cours de cette année 2009, le français déclarait qu’à ses yeux, seuls quatre circuits européens avaient leur place au calendrier : Monaco, le Hungaroring, Monza et Montmelo. Leur point commun ? Le premier est dans une ville quand les trois autres sont à moins de 20 kilomètres de l’ultra centre d’une mégapole. Un an après le départ de Magny-Cours du calendrier et alors qu’à ce moment là commence à naitre la rumeur d’un Grand Prix dans Londres, il était clair qu’une tendance net se dessinait dans la tête des dirigeants de la FOM : la F1 devait devenir une part d’un voyage touristique des consommateurs.
Liberty à grande vitesse
Si la fin de règne de CVC démentira cette tendance avec les arrêts de Valence et Istanbul, l’échec du Grand Prix à New York et le retour à des circuits historiques comme Spielberg ou Mexico, l’arrivée de Liberty a donné de l’ampleur à cette vision, au point de se voir concrètement dès cette saison.
En 2021 nous aurons 5 circuits urbains puisqu’aux traditionnels Monaco, Melbourne et désormais Singapour se sont successivement ajoutés Bakou en 2016 et Djeddah cette saison. Un nombre qui pourrait encore grossir dès l’an prochain avec Miami déjà confirmé et peut-être Hanoi selon l’évolution judiciaire du dossier. Au delà de ces circuits urbains, certains Grand Prix changent de nom cette saison et c’est précisément ici que le travail de Liberty se voit.
Une histoire de nom
Si nous étions habitués depuis le temps au “Grand Prix d’Abou Dabi” en lieu et place du nom du pays, nous aurons dès cette saison le droit au “Grand Prix de Mexico City” et “Grand Prix de Sao Paulo“. Si l’on ajoute les 2 villes-états de Monaco et Singapour, 5 GP porteront le nom d’une ville en attendant donc le “Grand Prix de Miami” l’an prochain. Alors certes, le Grand Prix d’Abou Dabi est au nom de l’émirat et non de la ville mais c’est bien la cité qui est associée à la publicité autour de l’évènement. Des courses vendues depuis quelques temps par Liberty comme des “destination races”, tout est dans le nom.
Exit donc les Grand Prix nationaux et bienvenue dans le futur que nous réserve Liberty. Si en outre cette stratégie permet de réaliser plusieurs Grand Prix dans un même pays (coucou le marché chinois et le marché américain), elle nous offre un futur composé de deux types de circuits : ceux permanents proches d’une ville et ceux urbains dans une ville. Et n’aller que vers ces deux alternatives est un danger pour l’avenir de la discipline.
Proche des villes, loin du coeur
En ce qui concerne ces Grand Prix sur circuits permanents, cette stratégie de la F1 offre peu de possibilité. Outre Barcelone, Budapest, Monza (Milan), Mexico, Interlagos (Sao Paulo) et Abou Dabi, les circuits de Shanghai, Austin, Suzuka, Sakhir (Manama), Montreal et Sochi peuvent espérer rester à long terme quand Buenos Aires peut espérer revenir. Pour les autres, trop loin d’une centre-ville attractif pour du tourisme de masse, ils ne rentrent plus de ces plans.
Tous ces circuits cités précédemment ont un point commun : leur manque global de camping et lieux de logement bon marché. Ainsi les spectateurs voulant assister à tout un week-end de course se retrouvent à devoir se loger loin du tracé, à venir dès le matin en voiture, et depuis Le Castellet en 2018 on sait ce que cela implique, et devront nécessairement payer plus cher qu’à Silverstone, Hockenheim ou Spa-Francorchamps où les champs de campement foisonnent autour du tracé.
Des tracés difficiles d’accès donc, comme en témoigne l’expérience de notre rédacteur Louis, qui mettra 2h15 à rejoindre sa place en tribune à Monza depuis son logement quand à Magny-Cours ou Spa-Francorchamps, je n’avais que 20 minutes maximum de trajet. Mais au moins, ces tracés permettent d’y placer de larges tribunes offrant une vue sur plusieurs points d’action aux spectateurs. Quelque chose qui manque, entre autres, à ces fameux street circuits…
Urbain jusqu’à l’overdose
Vous ne m’enlèverez pas l’idée que ce qui se passe en ce moment avec les tracés urbains en F1 a été causé en partie par la Formule E. Depuis l’arrivée de ce championnat fin 2014, plus de 30 tracés différents ont été présentés, certains n’ayant duré qu’une seule saison, et cela a sans doute inspiré la F1.
Un circuit urbain, c’est déjà moins de coûts. L’asphalte est déjà posé, il ne reste qu’à mettre en place des infrastructures pour les stands et les spectateurs ainsi que les barrières de sécurités et vous avez votre circuit. Si au bout d’une ou deux édition, on constate que cela ne fonctionne pas au niveau du tracé, on modifie, comme à Singapour. Et si on constate que le circuit ne fonctionne pas en terme de recette, on s’en va, comme à Valence.
Ainsi la F1 a annoncé un Grand Prix à Hanoi ou Djeddah moins d’un an avant l’arrivée au calendrier dudit Grand Prix, puisque le plus gros du travail était déjà effectué. Mais les désavantages sont nombreux, à commencer pour les fans. Un Grand Prix en ville, cela veut obligatoirement dire un logement dans la ville même pour le week-end. Etant donné la taille tentaculaire de Singapour ou Miami, il est difficilement concevable de trouver des logements suffisamment proches pour ne pas trop effectuer de trajets les soirs après les essais tout en restant abordables. Tout le budget se retrouve augmenté en conséquence : l’achat de titres de transports en commun comme l’achat de nourriture (contrairement aux barbecues traditionnels dans les campings).
Tout le monde est perdant
Mais dans l’esprit de Liberty, tout cela est annexe dans l’esprit du consommateur, lui ne vient que pour deux choses : voir la course et visiter la ville dans laquelle elle se déroule. Commençons par ce second point. Du vendredi au dimanche, les journées sont généralement animées de 9h à 19h sur ou autour de la piste. Difficile de faire du tourisme sur la plage horaire restante pour la plupart des fans de F1 qui préféreront rester en bord de piste pour ne pas louper une course, même annexe.
Quand au second point, là encore tout est relatif. Sur un circuit urbain, la notion de “voir la course” n’est pas la même que sur un tracé traditionnel. On ne voit généralement qu’un ou deux virage et les tribunes sont souvent placées là où l’urbanisme déjà présent leur laisse la place, et non là où va se situer l’action. Le spectateur paiera donc plus cher que sur un circuit classique pour y voir moins, ce qui semble être un business model peu rentable.
Pourtant aujourd’hui les courses urbaines sont un succès mais c’est aussi dû à leur nombre. Avec seulement 3 à 4 GP sur des circuits en villes sur 20 à 21 GP ces dernières années, leur rareté faisait leur force. Melbourne en tant qu’ouverture de la saison, et seul passage de la F1 en Océanie. Monaco et Singapour comme joyaux, mêlant tracé exigeant et environnement luxueux et Bakou, qui a su s’imposer par son spectacle et son tracé. Mais à terme, si 50% des circuits deviennent comme Djeddah ou Miami, qui voudra encore aller voir un GP en ville ?
Enfin, se pose la question de l’héritage. Ces tracés urbains ne seront ouvert qu’une seule fois dans l’année, et ne permettront pas de créer une culture automobile dans le pays. Comment amener les jeunes azéris, saoudiens ou vietnamiens à la course automobile si leur pays n’a pas de circuit où organiser des courses tout au long de l’année. C’est un fait, aujourd’hui le Sénégal ou l’Estonie ont plus de circuits permanents que certains pays visités par la F1, ce qui peut paraitre absurde si la F1 veut pérenniser sa base de fan dans les pays où elle se rend.
Le danger sera proche
Le véritable danger pour la F1, c’est qu’elle se coupe de sa base de fans à terme et qu’ils se tournent vers d’autres disciplines. Les championnats du monde d’endurance (WEC), de tourisme (WTCR) et de rallycross (WRX) l’ont bien compris et ont mis leurs fans au centre de leurs épreuves, amenant certains de leurs évènement, comme Lohéac, à connaitre une meilleur affluence que plusieurs courses du championnat du monde de Formule 1. Et l’on ne parle même pas du WRC, dont l’accès reste gratuit, ou des disciplines Moto qui ont fait le choix, à travers les circuits présent à leur calendrier, de se rapprocher de leurs fans. En 2021, le MotoGP ira au Mans, le Superbike (SBK) à Magny-Cours et l’endurance (EWC) au Mans et au Castellet. Trois circuits qui n’entreraient pas dans cette nouvelle vision de la F1…
Clément Chatellier
Crédits photos :
Albert Park Circuit : Charles-Leclerc-fans.com
Vue aérienne de Hanoi : Formulaspy.com
Camping à Silverstone : Campsites.co.uk
Tribunes du virage 12 de Bakou : f1destinations.com