Le dénouement du dernier Grand Prix de la saison 2021 a fait couler beaucoup d’encre. L’occasion nous est offerte de nous plonger dans les archives de la F1. Et d’ouvrir les “cold case” finalement élucidées après de nombreuses années. Des histoires sombres où la politique a pris le pas sur le sport avec les risques qu’une telle situation génère…
Finale sous haute tension
L’épique duel Schumacher-Villeneuve arrive à son dénouement final. C’est le tracé vieillissant de Jerez de la Frontera (Espagne) qui a été choisi par la FIA. Cette décision intervient suite à l’annulation du Grand-Prix du Portugal. Le circuit d’Estoril subit le poids des années et ses infrastructures sont jugées obsolètes. Le Grand-Prix d’Europe viendra clôturer la saison 1997 à Jerez, délaissé depuis 1994…
Au championnat, Schumacher (Ferrari) mène d’un petit point – 78 points contre 77 points – face à son rival Jacques Villeneuve (Williams-Renault). En termes simples, celui qui termine devant l’autre empoche la couronne. L’Allemand peut compter sur le soutien de son écurie et de son équipier Eddie Irvine, qui s’est montré décisif au Japon pour mettre à son chef de file de l’emporter. On rappellera que le Cheval cabré court après un nouveau titre pilotes depuis… 1979 (Jody Scheckter). Du côté des hommes de Franck Williams, le titre constructeur a été remporté lors de la manche nippone et toutes les ressources sont concentrées autour du Québécois afin qu’il puisse réussir là où son regretté père avait échoué en disparaissant tragiquement quinze ans plus tôt (Belgique 1982).
Le Canadien a payé cher sa vindicte face à la FIA, en faisant entendre sa voix contre la nouvelle réglementation qui devrait réduire les performances des voitures et l’apparition des pneus rainurés. Rabroué par le président en exercice – Max Mosley, le fils de Gilles Villeneuve a écopé d’une disqualification à Suzuka (Japon) pour non-respect des drapeaux jaunes pendant les qualifications. D’autres pilotes dont Schumacher et Frentzen (Williams-Renault). ont été rattrapés par la patrouille. Ils risquent une course de suspension avec sursis.
Trois hommes à départager
Samedi après-midi, le mercure monte progressivement sur le tracé andalou. Villeneuve dégaine le premier en signant un tour en 1’21″072 (une minute 27 secondes et 72 millièmes). Le Baron rouge échoue dans sa première tentative et se montre plus véloce lors de la seconde en signant un temps en… 1’21″072 (non, non, aucune erreur, vérifiez !). Son équipier nord-irlandais semble hors du coup tandis que chez Williams, on lance Frentzen pour une ultime tentative à dix minutes du drapeau à damiers. Le compatriote de Schumacher signe le record du deuxième partiel et passe sur la ligne en… 1’21″072 !
Selon le Code sportif, c’est le premier coureur à avoir inscrit le temps qui part en pole-position. C’est donc Jacques Villeneuve qui occupera la première place avec Schumacher à ses côtés et Frentzen en soutien juste derrière. Le départ s’annonce chaud bouillant ! Villeneuve avait déjà zigzagué à Suzuka à l’extinction des feux pour conserver l’avantage face au double champion du monde allemand. Leader du championnat et s’étant déjà illustré dans des manœuvres controversées (la Williams de Damon Hill garde un souvenir impérissable d’Adelaïde en 1994 !), les autorités sportives ont averti que tout comportement antisportif entraîneraît une sanction plus en moins importante.
Le lendemain, les pilotes rejoignent la grille de départ. Les journalistes se pressent autour des deux protagonistes, qui affichent une détermination sans faille. Schumacher déclare à des journalistes médusés avec ironie qu’il se bat contre trois pilotes Williams. Il est vrai que Damon Hill, pilote Arrows et ancien pensionnaire chez Williams, s’est souvent mis en travers de la route du champion 1994-1995. En coulisses, Jean Todt, le directeur sportif de la Scuderia, rend une visite de courtoisie à l’écurie Sauber, motorisée par le Cheval cabré. L’écurie de Peter Sauber apportera son soutien aux Rouges pour la conquête du titre.
Duel au soleil
Dès que les cinq feux rouges s’éteignent, la Ferrari bondit à l’instar d’un guépard lancé à la poursuite d’une antilope. Villeneuve patine mais parvient à virer deuxième, suivi par son équipier et les deux McLaren. A la fin du premier tour, l’Allemand a construit une avance de près de deux secondes sur son principal adversaire. Les tours s’égrènent et le pilote Williams semble subir la loi du futur septuple champion du monde.
Schumacher lance la première vague d’arrêts aux puits en s’arrêtant au tour 22 pour refaire le plein et changer de pneus. Il s’intercale entre Hakkinen (McLaren-Mercedes) et Coulthard (McLaren-Mercedes). Villeneuve imite l’Allemand au tour suivant et repart avec des enveloppes déjà rodées. L’arrêt de Coulthard permet à Villeneuve de recoller au groupe de tête emmené par son équipier. Le Finlandais Mika Hakkinen stoppe à son tour et on retrouve les trois protagonistes de la veille dans un mouchoir de poche. Heinz-Harald Frentzen emprunte finalement la voie des stands à la fin du tour 30 mais ressort derrière Coulthard, suivi comme son ombre par son équipier finlandais.
Les deux leaders se frayent un chemin parmi les pilotes retardataires. A l’entame du tour 31, ils fondent sur la Sauber de l’Argentin Fontana, qui s’écarte au passage de la monoplace rouge mais barre la route à la Williams n°3 pendant plusieurs virages. Trois secondes de perdues pour le Canadien et tout est à refaire. Il repart à l’attaque de plus belle, quitte à escalader copieusement les vibreurs. Les autres pilotes s’écartent sans ergoter à l’instar du jeune Ralf Schumacher, frère de l’un des prétendants à la couronne mondiale.
Adelaïde bis repetita
Chez Ferrari, on décide d’arrêter le champion allemand plus tôt que prévu, compte-tenu du rythme affiché par la Williams-Renault de son rival. Près de dix secondes sont nécessaires aux hommes de Maranello pour changer les pneus et faire le plein pour aller au bout. On peut en déduire que la Ferrari est partie avec moins d’essence en début de course. Villeneuve lui emboîte le pas et passe par les puits pour son dernier arrêt (8.3s). Il repart derrière la McLaren du pilote écossais qui s’arrête au tour suivant. La chasse est ouverte ! La FW19 fond sur la F310B en délicatesse avec ses gommes. Du graining ? Des problèmes à faire monter les pneus dans la bonne fenêtre de température ? Ou un trop plein de carburant qui handicape la monoplace italienne ?
Revenu dans le sillage de la Ferrari n°5, le Québécois prend l’aspiration et lance une attaque à l’entame de l’épingle “Dry Sack”. Le pilote canadien retarde son freinage au maximum et plonge à l’intérieur, arrivant ainsi à hauteur de la Ferrari de tête. Michael Schumacher, se déporte d’abord à gauche pour laisser la place avant de braquer violemment à droite ! Sa roue avant droite heurte le ponton gauche sérigraphié “Rothmans” de la Williams. Coup du sort, ce coup de roue permet à Villeneuve de braquer in extremis et de prendre son virage tandis que la Ferrari s’échoue dans les graviers.
Frentzen, juste derrière les deux duettistes en profite pour déborder son leader qui roule au ralenti mais il lui reste encore un arrêt à effectuer. Le Canadien a-t-il subi des dommages le contraignant à l’abandon ? Schumacher serait-il parvenu à rééditer sa détestable manœuvre dont Hill avait été victime trois ans plus tôt ? Le pilote Ferrari coupe son moteur et sort calmement de son cockpit avant de rejoindre les commissaires derrière les glissières de sécurité. Il enlève son casque et sera ramené en scooter jusqu’à son stand…
McLaren : la renaissance !
Bien que les dégâts soient superficiels sur sa mouture, Villeneuve ressent quelques vibrations et s’en remet à son ingénieur de piste qui l’invite à continuer. Il reste moins de vingt tours et les pilotes McLaren sont à une dizaine de secondes. Le fils de feu Gilles Villeneuve tente de s’accrocher autant que possible mais il perd plus d’une seconde au tour. Le team manager de McLaren – Ron Dennis – demande expressément à l’Ecossais Coulthard de laisser passer son équipier scandinave afin qu’il déborde Villeneuve. Ce serait la première victoire de l’ancien équipier de Senna en 1993.
Dans le dernier tour, Hakkinen lance son offensive sans grande résistance du potentiel champion du monde. Coulthard passe également le pilote Williams dans la dernière épingle, qui se contente de la troisième place. Derrière, c’est la foire d’empoigne puisque Berger (Benetton-Renault) dame le pion à Irvine pour la quatrième place L’Irlandais ne pourra rien tenter contre Villeneuve. Doublé McLaren ! Le dernier remontait à… 1991 ! Les hommes de Woking exultent tandis que chez Williams, c’est l’effervescence après une course haletante. Jacques Villeneuve, vainqueur de l’Indy 500 et 1995, devient champion du monde de Formule 1 à 26 ans ! Pour célébrer ce nouveau titre, les perruques blondes sont de sortie et Renault peut désormais partir sereinement. Mission accomplie.
Villeneuve se soumet à l’interview d’après-course : “Ce fut très difficile, très physique de le suivre, car il a l’art d’enchaîner les tours de course à fond, comme pendant les qualifications. En plus, je n’avais que deux trains de pneus neufs. J’en ai évidemment gardé un pour la fin de course. Il fallait que j’attaque Michael dans les deux ou trois tours suivant mon dernier arrêt, lorsque les gommes étaient à leur plus haut rendement. Finalement, j’ai tenté ma chance en retardant mon freinage puis en gardant la corde à l’intérieur. C’était imparable. […] Schumacher vient de montrer son vrai visage. Il a prouvé qu’il avait bien volontairement sorti Hill à Adélaïde, en 1994 ! C’est bien fait pour lui !
Mauvais perdant ?
“Quel con !” Jacques Laffite, (voir à1h35min15s) ancien pilote de la catégorie reine et commentateur pour TF1, insultait-il vertement Schumacher ou bien l’attaque audacieuse de Villeneuve ? Sans doute fustigeait-il le coup de volant du pilote Ferrari… Ce geste de “voyou” démontre la pugnacité du champion germanique mais le place dans une situation inconfortable. Schumacher est en effet président de la GPDA (Grand Prix Driver’s Association – association des pilotes). L’homme qui prône un comportement irréprochable en piste et des combats loyaux se retrouve au centre de vives critiques tant du côté de ses pairs que de la presse. Ce dernier se montre embarrassé devant les journalistes et tente de sauver son honneur en arguant qu’il s’agit d’un incident de course.
Max Mosley demande à la direction de course réclame un nouvel examen de l’incident. Schumacher est sous le joug d’une audition devant le Conseil mondial de la FIA. Jean Todt essaie de défendre son poulain autant que possible mais ses agissements chez Sauber et Jordan ne sont pas passés inaperçus. Le directeur sportif français laisse entendre qu’un accord secret aurait été conclu entre Williams et McLaren pour contrer Schumacher. La FIA va donc enquêter sur les conversations radios entre les deux écuries incriminées. Preuve manifeste de l’influence de Ferrari dans les arcanes décisionnaires…
Les jours qui suivent sont le théâtre d’un lynchage médiatique à l’encontre de Michael Schumacher. En Italie, on réclame sa tête tandis qu’en Angleterre, la germanophobie transpire à travers des titres ou des manchettes assassines. Même au sein de sa propre patrie, son geste est décrié ! lors de l’audience du 11 novembre 1997, l’Allemand reconnaît son geste, tout en se défendant d’une quelconque préméditation. La FIA l’exclut du championnat tout en lui permettant de conserver le bénéfice des victoires et des points glanés tout au long de l’année. Curieux verdict…
Pierre Meslait
Crédits photos :
Photo de couverture : Top Gear
Photo de groupe pré-courses : The Mirror
Extraits de la course : Xavier Bouillon via Youtube
Photo des trois polemens : Sportspeedka
Drapeau de la FIA : FIA Media