La F1 vit une des plus graves crises de son histoire, et certains pensent que les châssis clients sont la solution. Ils ont tort.
Depuis plusieurs années déjà, la F1 va mal, avec des écuries qui doivent se battre pour simplement survivre et un spectacle peu présent. La crise mondiale due à l’épidémie de Covid-19 n’a finalement fait que révéler cela. Chez McLaren, on a baissé les salaires; chez Williams on a même dû s’endetter; chez Racing Point, on se demande si les investissements de Lawrence Stroll ne vont pas être remis en question. Il devient donc urgent de drastiquement baisser les coûts.
La solution choisie par la FIA et Liberty Media, et qui a mes faveurs, c’est de limiter les budgets de TOUS les teams, hors salaires des pilotes et des cadres de l’écurie. Cela signifie qu’en début de saison, tout le monde part avec les mêmes chances en ce qui concerne la voiture, et que les top teams conservent leur avantage en ce qui concerne les pilotes. Cela permettrait de resserrer les performances de toutes les équipes, et de rajouter du suspense, comme on a pu en avoir en 2012 avec – je le rappelle – 8 vainqueurs différents pour 5 teams différents. Pourtant, cette saison n’avait pas tourné à la loterie, comme certains semble penser que c’est ce qui nous guette avec des budgets limités.
Pourtant, Mattia Binotto et Christian Horner ne semblent pas apprécier cette solution. Pour eux, la solution, c’est la vente de châssis clients (voir les liens attachés à leurs noms). Ces deux directeurs d’écurie militent pour la vente de châssis fabriqués par leurs usines, à des écuries clientes. Bien sûr, les châssis en question auraient un an. J’ai déjà écrit un article complet sur mon site pour expliquer pourquoi cela est une mauvaise idée, mais je vais faire un résumé : Les petites écuries seraient alors asservies aux “usines”, avec des voitures plus anciennes, elles n’auraient jamais de chance de revenir aux avant-postes (comme Williams l’a fait en 2014 par exemple, ou comme Renault, McLaren et la future écurie Aston Martin souhaitent le faire), et cela signerait probablement la mort des écuries de milieu de grille souhaitant continuer de construire leur châssis, puisqu’un châssis Mercedes vieux d’un an serait quand même plus performant qu’un châssis Renault actuel… A l’opposé, les top teams seraient encore plus riches par la vente de châssis, pourraient continuer de dépenser sans compter et pourraient accroître leur pouvoir politique. Tout ceci créerait une F1 à deux vitesses, et figerait définitivement la hiérarchie actuelle.
Un des arguments qui revient dans la bouche des détracteurs des budgets limités, c’est que cela engendrerait une destruction d’emploi dans les grosses équipes, qui devraient forcément dégraisser pour réduire leur budget. A première vue c’est un bon argument, car personne ne souhaite voir des emplois disparaître. Mais pensez-vous vraiment qu’une petite équipe achetant des châssis conserverait son département R&D ? Si les emplois ne sont pas détruits chez Ferrari, ils le seront chez Sauber ou Williams. Là encore, les directeurs des top teams tirent la couverture de leur côté.
Enfin, un autre argument en faveur des châssis client est que “cela fait partie de l’ADN de la F1”, car cela a eu lieu de nombreuses fois par le passé. Effectivement, cela faisait partie de l’ADN de la F1 des années 50 à 70. Mais la F1 d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la F1 de cette époque, et il faut être d’une mauvaise foi sans bornes pour le nier. Dans les années 50 ou 60, c’est surtout le pilote qui faisait la différence. Les usines s’offraient les services des meilleurs pilotes, avec une armée de mécaniciens pour préparer la voiture correctement. Les pilotes privés achetaient leur voiture et restaient derrière les pilotes d’usine car ils étaient simplement moins bons et leurs voitures moins bien préparées. Dans les années 70, il ne restait plus que quelques riches gentlemen drivers capable de financer l’achat d’une F1 et de piloter lors de quelques manches, systématiquement sans succès.
Alors si messieurs Binotto et Horner sont vraiment en faveur des châssis clients, je leur propose une solution qui permettra de conserver une compétition de qualité en F1, où chaque équipe aurait une chance de s’imposer, et où personne ne disposerait d’un matériel obsolète. J’appelle Liberty Media et la FIA à aller toquer à la porte de Dallara et Mecachrome pour concevoir une monoplace unique qui sera en vente à quiconque souhaite s’engager en F1. Cette monoplace sera bien sûr plus performante que la F2 que ces entreprises conçoivent et vendent. On pourrait imaginer un budget nécessaire pour ces monoplaces équivalent à deux ou trois fois celui nécessaire à une F2. Qu’on ne me dise pas que cela tournerait à la loterie, il suffit de regarder le championnat de F2 : Certains pilotes et écuries peinent à rentrer dans le top 10 quand d’autres sont systématiquement aux avant-postes. Bien sûr, comme eux-mêmes le proposent, cela ne serait qu’une solution temporaire le temps que la crise passe. Alors, messieurs Binotto et Horner, vous signez toujours pour des châssis clients ?
Louis Mattlin
Crédits photos
Mattia Binotto : motors-addict.com
McLaren M23 : Compte Twitter McLaren