Russell va certainement laisser sa place à Perez chez Williams, et se retrouver sans volant. Est-ce vraiment une mauvaise nouvelle ?
Vous le savez, j’adore le sport automobile, j’adore la Formule Un, j’adore lire toutes sortes d’articles sur la F1 (et même en écrire !). Et aussi, j’adore lire les commentaires sous les articles. Et devinez quoi ? Souvent, je ne suis pas d’accord. Je vais donc utiliser cet espace qui m’est alloué sur Multi21 pour répondre à ces commentaires (non, ce n’est pas une méthode trop facile pour trouver des idées d’articles voyons…). Car parfois, il faut voir un peu plus loin que le bout de son aileron avant.
Bref, revenons à nos moutons, et mettons un peu de contexte. A l’heure où j’écris ces lignes, nous savons déjà qu’Alonso prendra la place de Ricciardo chez Renault, qui lui-même prendra la place de Sainz chez McLaren, qui lui-même prendra la place de Vettel chez Ferrari, lequel prendra la place de Perez chez Aston Martin. Pourtant, en coulisses, tout le monde s’agite encore. Il semble que Perez, pressenti chez Haas, trouvera refuge chez Williams. En effet, Mazepin devrait prendre sa place chez Haas, grâce à une injection de fonds dans l’écurie de la part de son père. Cela mettrait donc Russell sur la touche (alors même qu’il dispose d’un contrat) pour laisser la place à Perez et Latifi. Voici un commentaire que j’ai pu lire à ce sujet :
« Si Russell n’est plus titulaire, c’est vraiment que la F1 a pris la mauvaise direction, celle du nivellement vers le bas par les fistons à papa milliardaires. »
le dénommé Clay Hueysbe dans les commentaires Nextgen Auto
Pourquoi ce n’est pas une (si) mauvaise nouvelle pour Russell
D’abord, il faut se souvenir que Russell est un pilote Mercedes. Sa carrière est donc soutenue par la meilleure écurie du plateau à l’heure actuelle. Perdre son volant chez Williams ne voudrait absolument pas dire qu’il perdrait le soutien de Mercedes. Il y a d’ailleurs des précédents de pilotes qui se sont retrouvés dans cette situation par le passé.
Regardons le cas Ocon. Après deux saisons passées chez Force India, où il faisait jeu égal avec Perez, l’écurie a changé de main et a préféré se séparer du Français. Il est alors revenu pour une saison en tant que troisième pilote chez Mercedes. Vu son potentiel intéressant mais pas extraordinaire, il n’y a aucun doute sur le fait que Mercedes n’a jamais vraiment voulu lui faire une place dans son écurie. Pourtant, il a pu profiter de sa bonne cote sur le marché pour retrouver une place de titulaire, et ce, dans une équipe Renault aux résultats encourageants.
Si l’on regarde un peu plus loin, on peut aussi parler de Fernando Alonso. L’Espagnol avait réalisé une très bonne première saison chez Minardi en 2001, malgré aucun point marqué. Flavio Briatore, alors son manager et directeur de l’écurie Renault, avait choisi de le placer comme troisième pilote dans l’écurie d’usine Renault pour 2002, jugeant qu’une nouvelle saison en fond de grille n’apporterait rien. On sait aujourd’hui que c’était le bon choix, tant pour Alonso que pour Renault. En effet, dès 2003, Alonso allait s’imposer comme le leader de l’écurie Renault avec une victoire et quatre podiums.
Le parallèle avec Russell est fort tentant : Les deux pilotes ont eu un parcours exemplaire dans les formules de promotion et ont eu des débuts très prometteurs mais sans grands résultats en fond de grille. Et il est très probable que Russell passe une saison sur la touche avant de se retrouver leader d’une écurie en quête de titres mondiaux. Un début de carrière en F1 à la Alonso, c’est tout ce qu’on peut souhaiter à Russell !
Pourquoi c’est (plutôt) une bonne nouvelle pour la F1
Comme on l’a vu, s’il est écarté en 2021, Russell reviendra en F1 pour gagner, ça ne fait aucun doute. Quant à la présence de milliardaires en F1 (Stroll, Latifi, Mazepin), ce n’est pas nouveau, et donc pas vraiment inquiétant. Issus de riches familles, ou simplement soutenus par de puissants industriels, les pilotes payants ont toujours fait partie du paysage formulistique : Des pilotes susnommés dans nos années 2020, en passant par Taki Inoue dont la famille contrôle le puissant fonds d’investissement Nova dans les années 1990, jusqu’au Prince Bira dans les années 1950, enfant de la famille royale thaïlandaise, les exemples ne manquent pas.
Le départ de Russell n’est donc pas spécialement une mauvaise nouvelle, mais pourquoi diable serait-ce une bonne nouvelle ? Refaisons un petit point sur l’Histoire, si vous le voulez bien.
En 2016, l’écurie Haas a rejoint la F1 avec un modèle économique et technique intéressant. L’idée est de développer des liens forts avec un top team (en l’occurrence, Ferrari pour la fourniture moteur et boîte), ce qui va permettre un partage de technologies à moindre coût. Le modèle marche très bien et les débuts de Haas en F1 sont tonitruants. Les petites équipes, qui développent tout en interne, dépensent plus, et sont moins performantes.
Dès lors, ces petites écuries sont obligées de resserrer leurs liens avec les top teams, pour bénéficier de leur aide technique ou financière. En contrepartie, les top teams placent souvent leurs jeunes pilotes dans ces équipes. Tout le monde semble y trouver son compte. Mais est-ce vraiment le cas ? Pas vraiment, car en faisant cela, les grandes écuries étendent leur pouvoir politique à leurs écuries satellites, qui n’ont plus vraiment leur mot à dire. Surtout, on assiste à la création d’une F1 à deux vitesses, avec les top teams qui gagnent, et les teams satellites qui, certes, ont pu se rapprocher des avant-postes, mais ne pourront jamais dépasser les top teams en utilisant leurs vieilles pièces. Pire, les écuries qui souhaitent rester indépendantes ne peuvent que difficilement lutter avec les écuries satellites pourtant moins fortunées, et doivent revoir leur modèle ou accepter le fond de grille. D’ailleurs, quel intérêt pour les équipes qui ne conçoivent plus toute leur monoplace de conserver des armées d’ingénieurs ?
Grâce à tout cela, les top teams s’assurent à long terme un fort pouvoir politique, et une place quasi inébranlable sur le podium. Bref, l’enfer ! Sauf que Liberty Media est passé par là. Le plafonnement des budgets apporte un vent frais sur la F1. Dans ce contexte, les écuries de fond de grille peuvent désormais dépenser presque autant que les top teams, et avoir une véritable opportunité de remonter sur la grille. Dès lors, il est possible de reprendre son indépendance, sans pour autant sacrifier sa compétitivité.
C’est exactement ce qu’essaient de faire les nouveaux propriétaires de Williams. Se passer de l’excellent Russell est le prix à payer pour retrouver son indépendance vis-à-vis de Mercedes. Désormais libérée de l’influence de Mercedes, l’écurie Williams peut alors reprendre en main son développement et essayer de dépasser les top teams. Paradoxalement, casser le contrat d’un des meilleurs pilotes sur la grille est la première étape d’un retour au sommet pour l’écurie de Grove.
Une écurie qui reprend son indépendance, pour se donner les moyens d’aller chambouler l’ordre établi, c’est tout ce que nous, fans de F1, souhaitons voir. Le départ de Russell n’est que temporaire et donc presque insignifiant. Bref, il n’y a pas de négatif dans cette décision de Williams, si elle est avérée. Écuries de tous pays, unissez-vous contre l’oppression topteamiste, et reconstruisons ensemble une F1 où toutes les écuries ont une chance de briller !
Louis Mattlin
Crédits photos
Perez et Russell en essais de pré-saison : Motorsport Images