Quand grand nom du passé résonne avec avenir flou
Le monde du sport automobile, comme le monde de l’automobile en général, est souvent bien fait. Un nouvel investisseur arrive quelque part, injecte de l’argent dans une ancienne gloire du passé et annonce en grande pompe un retour dans les championnats les plus prestigieux, provoquant excitation et enthousiasme.
Lawrence Stroll, surtout connu par les fans de F1 pour être le père de l’incernable Lance, ne déroge pas à la règle. Le 31 janvier dernier, lorsque le milliardaire annonce son investissement dans Aston Martin (d’abord à hauteur de 380M€ et désormais 590M€), l’excitation monte chez les amateurs de sport mécanique. En effet, vous n’êtes pas sans savoir ami lecteur que Lawrence Stroll détient l’écurie de F1 Racing Point. Et l’annonce ne tarde pas : dès 2021, Racing Point deviendra donc Aston Martin F1 Team, permettant au constructeur de Gaydon de faire son retour dans la catégorie reine du sport auto, 60 ans après son dernier Grand Prix, tout en continuant son engagement en GT (que ce soit avec l’ACO et le GTE ou avec SRO et les catégories GT3 et GT4), en confirmant son programme Le Mans Hypercar sans oublier l’introduction de nouveaux modèles de route.
Mais le temps des fantasmes n’a pas duré longtemps et seulement 3 semaines plus tard, le groupe Aston Martin Lagonda annonce que son programme Hypercar est en pause, décision prise à la suite du flou entourant l’hypercar et son homologue Nord-Américain LMDh (mais chaque chose en son temps et cette histoire méritera aussi que l’on s’y attarde). Nous voilà donc avec un constructeur, revigoré par un investisseur exotique, empilant les grandes annonces et le flou ! Un cas inédit ? Non, bien au contraire, et il suffit de revenir 10 ans en arrière pour trouver le parfais parallèle.
Nous sommes au cours de l’année 2010 et Lotus Cars, alors propriété des malaisiens de Proton, annonce son retour en F1 en 2011 de manière officielle sur la grille de départ en tant que Lotus-Renault GP. Pourtant depuis le début de la saison, des monoplaces vertes et jaunes nommée Lotus F1 Team sont engagées en Formule 1. Un imbroglio qui fait tache avant même le retour du mythique constructeur britannique, mais l’ensemble de ces évènements seront eux aussi comtés très prochainement dans un autre article. Toujours dans cette année 2010, Lotus en profite pour annoncer, comme le fait Aston Martin aujourd’hui, l’arrivée de 5 nouveaux modèles au cours des 5 années à venir avec les nouvelles versions de l’Elise, de l’Exige, le retour des mythiques Esprit et Elan et l’arrivée de la mystérieuse Eterne.
Et c’est à partir de ce moment qu’il faut s’accrocher :
– A ces 5 modèles et ce retour en F1, il fut annoncé au cours du mois de septembre 2010 qu’un accord était trouvé avec ART GP pour renommer les monoplaces françaises de GP2 et GP3 en Lotus ART
– Lotus décida au cours du salon de Genève lors du début d’année 2011 d’ajouter un programme d’endurance sur la base de son Evora, déjà présente en GT4, et de s’engager dès cette année aux 24h Du Mans avec Jetalliance Racing.
– Peu de temps après et suite à un sponsoring durant la saison 2011 avec KV Racing Technology, le constructeur britannique annonça son arrivée en IndyCar en 2012, non seulement comme motoriste de 5 voitures mais aussi comme team à part entière avec deux monoplaces.
– Puis vint le mois de septembre 2011 et le salon de Francfort où Lotus annonça que le baroud d’honneur de l’actuelle Exige se ferait en rallye, avec la création de la classe R-GT où la Lotus fut la première voiture annoncée.
– Enfin, lors des 24h Du Mans 2012, Lotus annonce s’être associé à Adess et Kodewa (propriété d’un certain Colin Kolles) pour créer un prototype LMP2, la T128 qui participera dès l’année 2013 au tout jeune World Endurance Championship.
Ainsi, en début d’année 2012, Lotus était donc officiellement engagé ou en passe de l’être dans les catégories suivantes :
– Formule 1
– GP2
– GP3
– IndyCar
– LMP2
– GTE
– GT4
– R-GT
Si vous avez réussi à vous accrocher à cette valse à 5 temps, vous aurez remarqué que je n’ai pas parlé du résultat mais il est l’heure du bilan :
– L’écurie de F1 n’a de Lotus que le nom, et après deux saisons (2012 et 2013) pleines de promesses, l’écurie sombre dans les problèmes financiers en 2014 et sera revendue au bord de la faillite à Renault en 2015.
– Après deux saisons (2011 et 2012) en GP2 et GP3 et un seul titre champion GP3, le partenariat avec ART s’arrête brutalement.
– Les moteurs Lotus en IndyCar furent un tel fiasco que les trois écuries clientes les échangèrent leurs moteurs pour un concurrent au bout de 4 courses. Quant aux 2 voitures officielles, Simona de Silvestro (engagée sur la saison) ne put jamais faire mieux qu’une 13ème place et Jean Alesi (engagé seulement pour l’Indy500) pris un drapeau noir au bout de 9 tours de course pour lenteur excessive, contre 10 pour sa coéquipière.
– Le programme endurance GT ne dura qu’une saison, la faute à de piètres performances et un partenariat douteux avec Jetalliance, quand le programme LMP2 (une seule saison lui aussi) vit les deux T128 finir dernières et avant-dernières du WEC
– La Lotus Exige R-GT eut si peu de succès que la plupart des pilotes préféraient utiliser des vieilles Porsche 911 de circuit, même si cela demandait des autorisations supplémentaires
Enfin, aucun des 5 modèles de route annoncé ci-dessus ni vit le jour et Proton revendit Lotus à Geely en 2017.
Aston Martin se doit donc de faire attention. Participer à la fois au WEC, à la F1 et rester actif en GT est louable pour les amateurs de sport que nous sommes mais personnellement je préfère voir Aston Martin compétitif dans 3 catégories plutôt que traînant en milieu de grille dans 6. Et si Lawrence Stroll doit trancher, c’est le programme hypercar qui doit sauter. En effet, les catégories GT3, GT4 et GTE sont directement issues des voitures de routes, participant à une forme de publicité directe. Je vous le concède, l’hypercar sera directement issue de la Valkyrie. Sauf que ce programme prend du retard, que la concurrence, et donc la pérennité de la catégorie, est encore floue et que d’un autre côté, Stroll dispose d’une écurie de F1 prête à l’emploi, remplie de gens compétents (capable de finir 4ème force du plateau avec le dernier budget en 2017) et offrant une publicité bien supérieure au WEC.
M. Stroll, si vous parvenez à mener de front GT, Le Mans et F1, nous ne serons qu’admiratifs mais en ces temps troubles pour le futur du sport automobile mondial, prenez le temps d’analyser le passé pour pouvoir construire l’avenir.
Clément Chatellier
Crédits photos :
Aston Martin Valhalla & Valkyrie : Aston Martin Lagonda
Aston Martin Valkyrie : www.motorsport.com
Photo de famille Lotus : Lotus Cars
Lotus F1 : Auto Evolution
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