Le dénouement du dernier Grand Prix de la saison 2021 a fait couler beaucoup d’encre. L’occasion nous est offerte de nous plonger dans les archives de la F1. Et d’ouvrir les “cold case” finalement élucidées après de nombreuses années. Des histoires sombres où la politique a pris le pas sur le sport avec les risques qu’une telle situation génère…
Une saison polémique
Cette saison marque l’avènement des “wing car” (voitures à effet de sol). Mes faibles compétences techniques ne me permettent guère de vous expliquer le principe de l’aile d’avion inversée, des jupes latérales, des pontons effilés et de l’air accumulé sous la voiture qui la “colle” au bitume. Aussi les deux schémas ci-dessous permettront sans doute à vos esprits éclairés de comprendre cette révolution aérodynamique initié par Colin Chapman.
Déjà présent sur sa devancière – la Lotus 78 – l’effet de sol s’accroît sur la Lotus 79, ne laissant que des miettes à la concurrence. Seule Brabham réplique avec la BT46B et son proéminent ventilateur – technique inspirée de la Chaparral 2J – censé refroidir le fragile Flat 12 Alfa-Roméo… Apparue au GP de Suède cette même année, la trouvaille de Gordon Murray assomme la concurrence et entraîne immédiatement une cabale menée par Colin Chapman (Lotus), Surtees et Tyrrell. La BT46B est jugée illégale quelques jours après la victoire flamboyante de Niki Lauda. L’écurie de Bernie Ecclestone se trouve contrainte de concourir avec la traditionnelle BT46, hypothéquant ses chances de sacre.
Cette polémique ouvre la boîte de Pandore. Si la Brabham BT46B utilise bien un élément aérodynamique mobile, qu’en est-il des jupes latérales sur la Lotus 79, très vite copiée par la concurrence ? En bannissant la monoplace aux couleurs de Parmalat, c’est un véritable jeu de pouvoirs qui va débuter entre le CSI de Pierre Ugueux et la FOCA présidée par Bernie Ecclestone (patron de Brabham, excusez du peu !)
Faux départ
L’antépénultième manche de cette saison outrageusement dominée par Lotus se dispute à Monza. Pour Mario Andretti (Lotus), c’est un retour aux sources et il peut prétendre décrocher son sacre à l’issue de la course. Son coéquipier, Ronnie Peterson, est en passe de signer chez McLaren pour la saison suivante. Ce sera donc Carlos Reutemann (Ferrari) qui épaulera Andretti en 1979. Le moteur Ford-Cosworth tient la dragée haute au 12 cylindres Ferrari dans le “temple de la vitesse”. Pôle pour Andretti tandis que Peterson, cinquième, souffre de problèmes de freins depuis le début du week-end.
Traditionnellement, les pilotes effectuaient une courte séance d’essais le dimanche matin : le “warm-up” au cours duquel “Super Swede” est victime d’une défaillance de ses freins. Il essaie avec son manager d’obtenir le mulet réservé à son coéquipier américain. Chantage de Chapman : rester chez Lotus et obtenir le mulet d’Andretti OU aller chez McLaren et avoir une vieille Lotus 78. Le Suédois opte pour le second choix.
A la fin du tour de formation, Andretti (Lotus), précédé de Villeneuve (Ferrari) s’arrêtent à leurs emplacements. Le starter – Giovanni Restelli – donne alors le signal du départ tandis que plusieurs voitures n’ont pas rejoint leur place. Villeneuve démarre mieux qu’Andretti tandis que Peterson se retrouve englué dans le peloton. Patrese (Arrows) a pris un excellent envol et se met à la hauteur de James Hunt (McLaren) Le champion anglais vire à gauche… et heurte Peterson. La Lotus part en flipper sur les rails de sécurité avant de prendre feu. Victimes collatérales du chaos : Reutemann (Ferrari), les deux Tyrrell de Pironi et Depailler, Daly (Ensign), Lunger (McLaren privée) et Regazzoni (Shadow). Vittorio Brambilla (Surtees) ne peut éviter la Lotus accidentée et la percute de plein fouet. Le “gorille” se crashe et gît inconscient dans son cockpit, probablement assommé par une roue baladeuse.
Dialogue de sourds
Les pilotes indemnes portent immédiatement secours à leur collègue coincé dans son cockpit en feu. Les commissaires interviennent également pour circonscrire l’incendie. Il faut attendre environ cinq minutes pour qu’une ambulance arrive pour évacuer Brambilla. Pourquoi autant de temps de direz-vous ? La direction de course suspend la course immédiatement mais les policiers italiens décident dans le même temps de quadriller la zone. Sid Watkins, disparu en 2012, était alors médecin agréé de la FOCA depuis le GP de Suède mais un barrage de carabineri l’empêche d’accéder à la piste. Les pauvres diables qui tentent de raisonner les forces de l’ordre sont rabroués à coups de matraque. Une véritable Bérézina !
C’est finalement James Hunt qui sprinte pour trouver le médecin britannique et l’informer de la situation. Lever du barrage et Sid Watkins peut enfin intervenir. Il arrive tandis que Clay Regazzoni vient d’alpaguer Bernie Ecclestone pour lui demander des comptes sur l’arrivée tardive du praticien. Les deux blessés graves sont transportés jusqu’au centre médical du circuit où une troupe de journalistes s’agglutine et retarde l’avancée du personnel médical.
Sur la piste, il faut enlever les carcasses des voitures accidentées et nettoyer la piste imbibée d’huile et d’essence. L’opération nécessite une interruption d’une heure et quart. Pour ne rien arranger, Jody Scheckter (Wolf) perd le contrôle de sa monture lors du tour de mise en grille et endommage une barrière de sécurité. Une nouvelle demi-heure d’attente….
Course kafkaïenne
Et de nouveau, le starter donne le départ alors que toutes les voitures ne sont pas arrêtées. Ayant anticipé cette nouvelle bévue de la direction de course, les leaders – Andretti et Villeneuve – anticipent le départ. Tous deux se voient infligés une pénalité d’une minute pour avoir démarré trop tôt. Oui, vous avez bien lu ! La direction de course se plante à deux reprises et ce sont les pilotes qui payent les pots cassés…
Victoire de l’Autrichien Niki Lauda, suivi de son second Watson. Doublé Brabham Alfa-Roméo sur les terres de Ferrari… Reutemann sauve les meubles en montant sur la dernière marche du podium. Mais l’ambiance est sinistre. Andretti inscrit le point de la sixième place et devient mathématiquement champion du monde puisque Peterson ne semble pas en mesure de reprendre le volant dans l’immédiat. Les teams manager portent néanmoins réclamation contre les pénalités infligées à leurs pilotes mais celle-ci est rejetée.
Brambilla et Peterson sont transportés à l’hôpital de Milan. Peterson est conscient mais les médecins décident de l’opérer peu après son arrivée. Le manager du pilote suédois donne son accord. C’est sans doute cette opération immédiate qui est la cause de l’embolie fatale au Suédois le lendemain. Alors que les nouvelles de la veille se voulaient rassurantes sur son état de santé, l’annonce de son décès provoque un véritable tollé. Chapman entame une véritable chasse aux sorcières au sein de ses mécaniciens dont certains sont renvoyés manu militari. Mario Andretti devient officiellement champion du monde mais dans la tristesse et la douleur.
Verdict des pilotes
Alors à qui la faute ? Probablement au starter qui a donné le départ bien trop tôt mais qui sera bien vite mis hors de cause… Le tracé de Monza propose une piste assez large au départ qui se rétrécit tel un goulot d’étranglement à l’approche de la première chicane. La différence de vitesse entre les voitures lancées et celles arrêtées est aussi à prendre en compte dans ces conditions. Un accident était donc inévitable.
Rebondissement quelques jours plus tard. Plusieurs pilotes, James Hunt len chef de file, accablent Riccardo Patrese (Arrows) d’être responsable du carambolage du départ. L’Italien n’a pourtant eu aucun contact direct avec le Suédois. C’est bel et bien Hunt qui s’est rabattu sur le pauvre Peterson, surpris par Patrese. Impliqué dans de nombreux accrochages depuis ses débuts, c’est presque l’ensemble du paddock qui veut sa tête. Gilles Villeneuve, connu pour des frasques similaires, prend la défense de celui qui semble le bouc émissaire tout désigné.
Le collège composé de cinq pilotes – tous des amis de Peterson – réclame l’exclusion de l’Italien pour la manche américaine à Watkins Glen. Ils menacent par ailleurs de boycotter la course si leur voix n’est pas entendue par les officiels. Cela n’est pas sans rappeler l’exclusion de Romain Grosjean du Grand-Prix d’Italie en 2012. La direction de course s’en remet au CSI (Commission Sportive Internationale), qui accède à la requête des pilotes. L’Arrows n°35 ne prendra donc pas le départ.
Une fois encore, le pouvoir sportif n’a pas pris ses responsabilités et a cédé à un odieux chantage orchestré par un tribunal autoproclamé. Cela fait écho aux décisions de Michael Masi – (encore ?) directeur de course – sous l’influence tantôt de Toto Wolff (Mercedes) ou de Christian Horner (Red-Bull) la saison passée. Il faudra attendre 1981 pour que Patrese soit blanchi malgré les remarques acerbes de Hunt, devenu par la suite commentateur à la BBC, à son encontre.
Les causes sont multiples pour expliquer cette tragédie mais c’est surtout des jugements à l’emporte-pièce de la part d’un des responsables involontaires de la mort de Peterson qui questionne. Cette influence sur le pouvoir sportif n’est donc pas si anodine et elle interroge d’autant plus à notre époque. Votre avis sur la question ?
Pierre Meslait
Crédits photos :
Effet de sol : Wikipédia
Départ de la course : Motor Chicche
Accident : statsF1
Ronnie Peterson: Auto123
Riccardo Patrese : UltimateCarPage
Un commentaire ? Oh que oui !
Merci !
Merci pour ce rappel de l’histoire.
Un autre grand moment, celui du week-end du 30 Avril-1er Mai 1994. A l’approche du triste anniversaire de la disparition d’Ayrton Senna, un petit papier serait le bienvenu.
Merci encore
Comme dirait un chanteur célèbre : “La leçon n’est jamais apprise” !
(Benabar : “Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ?”, “Reprise des négociations”, 2005).