Dimanche 12 décembre 2021. La F1 vient de vivre une course historique à Abu Dhabi : Max Verstappen a triomphé de Lewis Hamilton, mettant fin à une domination sans précédent des pilotes Mercedes, champions sans interruption depuis 2014. Par la même occasion, le Néerlandais empêche le Britannique d’empocher un historique huitième titre.
Le tout ne s’est pas fait sans heurt, loin de là : d’abord, la tentative de dépassement musclée de Verstappen au premier virage, puis l’accident de Nicholas Latifi en fin de course entraînant une Safety Car et surtout la confusion chez les commissaires de course et chez Michael Masi. La décision prise par ce dernier de relancer la course pour un dernier tour, sans retardataire entre les deux belligérants pour le titre, fut plus que mal prise par le clan Mercedes : protestation directe de Toto Wolff, patron de l’écurie, auprès de Masi avant et après le restart (« No Mickey, this is so not right ! »), rejoint par son pilote fétiche, soufflant à Bono dans le dernier tour que la course a été “manipulée”. Enfin, l’écurie de Brackley lance une protestation contre la direction de course et le traitement de la fin de procédure de Safety Car, jugée non conforme.
Puis, le silence, total. Les seuls éléments de communication officiels sont la publication de la protestation. Lewis Hamilton reste muet, lui qui est d’habitude actif sur ses réseaux sociaux. Le silence continue jusqu’au jeudi 16 décembre, dans l’après-midi : Mercedes retire sa plainte, juste avant le Gala de remise des prix des Championnats du Monde FIA. Traditionnellement, les trois premiers pilotes du championnat du monde de Formule 1 y reçoivent leurs prix, ainsi que le directeur de l’écurie vainqueure. Une photo de groupe des voitures victorieuses dans chacun desdits championnats FIA est également prise. Hamilton et Mercedes bouderont tout ce folklore. Lui et Wolff ne se rendront pas au gala, Mercedes ne proposera ni sa W12 ni sa Silver Arrow 02 (officiellement première championne du monde de la Formule Electrique) pour la photo des champions.
Toto Wolff brise le silence lors d’une conférence de presse virtuelle où il revient longuement sur les détails du Grand Prix d’Abu Dhabi, et sous-entend également que Lewis Hamilton pourrait ne pas revenir en 2022, la décision du directeur de course étant trop dure à avaler. La déclaration choque et est vite reprise par de nombreux journaux avides des dernières rumeurs, d’autant que le principal intéressé n’a pas pris la parole depuis.
Alors ? Il semble peu probable que le septuple champion du monde raccroche les gants sur une telle défaite. Un champion de ce calibre, piqué dans son orgueil, ne veut rien d’autre qu’une revanche propre, sur la piste. Néanmoins, derrière le titre de cet article – j’en conviens – assez putassier, la question de la retraite se posera indubitablement dans les prochains mois. À l’aube de ses 37 ans et de sa 16ème saison dans la discipline reine, Hamilton semble plus motivé que jamais à l’idée d’obtenir un huitième titre et entrer définitivement dans la légende comme le pilote au plus gros palmarès que le sport ait connu. Et ensuite ? Mercedes compte écrire son futur avec son poulain George Russell, placé cette année aux côtés de son compatriote afin d’apprendre dans un environnement luttant au plus haut niveau.
Mais l’histoire pourrait se répéter. Combien de fois avons-nous vu un jeune loup faire tomber un roi en arrivant dans « son » écurie ? Les exemples ne manquent pas : Leclerc face à Vettel chez Ferrari en 2019, Verstappen contre Ricciardo chez Red Bull en 2016, ou encore… Hamilton menant la vie dure à Alonso chez McLaren en 2007. A chaque fois, l’élève a dépassé le maître, au point de devenir (plus ou moins rapidement) la nouvelle figure de proue de navire. Ainsi, la cohabitation Alonso/Hamilton n’aura pas survécu à la folle année 2007 (marquée par le Spygate et le titre manqué par les deux pilotes McLaren de la façon la plus spectaculaire possible), tandis que Verstappen aura eu Ricciardo à l’usure, après trois saisons. Russell avait impressionné à Sakhir en 2020, en remplaçant Hamilton positif au Covid-19, échouant à 26 millièmes de Bottas, son équipier pour un week-end, en Q3. Sa prestation en course fut également fantastique, prenant immédiatement les rênes de la course et la dominant largement, jusqu’au (rare) cafouillage de Mercedes dans les stands, suivi par un dépassement osé sur son équipier (certes, à la faveur de pneus plus tendres et beaucoup plus frais) et une remontée stoppée brutalement par une crevaison. Le tout dans une monoplace qu’il ne connaissait pas, pour ainsi dire, et avec des chaussures trop petites, exiguïté de la cellule de survie oblige.
Leur duel en 2022 sera donc à surveiller de près, mais gageons que Toto Wolff aura à cœur de ne pas revivre l’épisode Hamilton/Rosberg. Pourtant, il devra veiller à ne pas frustrer sa nouvelle recrue et ne pas pousser son champion vers la sortie, même si cela arrivera fatalement tôt ou tard.
Il est vrai qu’Alonso est revenu à presque 40 ans et que Räikkönen, lui, vient de prendre sa retraite à 42 ans (âge qu’atteindra l’Asturien lors de la prochaine saison). Cela étant, une telle longévité est-elle souhaitable, quitte à tomber dans le piège de la saison “de trop” (d’aucuns diront que Räikkönen en était à sa 8ème saison de trop…), ou ne vaut-il pas mieux prendre sa retraite plus tôt, au sommet de son art ?
Ces dernières années, les jeunes ont impressionné et sont devenus des stars incontournables du championnat, à l’instar de Verstappen (2015), Gasly (2017), Leclerc (2018), Norris et Russell (2019). Les rookies étaient également à l’honneur, puisque l’on en dénombrait 3 en 2021, 2020 et 2019 (dont deux pigistes en 2020, certes), 2 en 2018, 4 en 2017, 5 en 2016, et la liste continue pour les années précédentes.
En 2022, nous aurons l’occasion de n’en voir qu’un seul, Guanyu Zhou. Le pilote chinois atterrira chez Alfa Roméo, après 3 saisons moyennes en F2 (7ème en 2019, 6ème en 2020 et 3ème en 2021, 5 victoires au total) au sein de l’équipe UNI-Virtuosi pourtant vice-championne à chaque saison. Son association avec Bottas dans une monoplace de milieu, voire de fond de grille, n’est pas vouée à faire des étincelles, au propre comme au figuré : l’écurie s’enfonce un peu plus dans le fond du classement chaque année, et le nouvel arrivant semble devoir sa place davantage à ses soutiens financiers qu’à ses prestations sportives.
Pourtant, les candidats plus sérieux ne manquent pas dans le roster de la F2.
Nyck De Vries, champion 2019 au bout de sa troisième tentative est l’un d’eux. Le protégé de Mercedes a dominé le championnat, qui n’était certes pas le plus relevé de l’histoire de la série. Avec 4 victoires et 52 points d’avance sur son dauphin Nicholas Latifi (comptant 4 saisons et demie de GP2/F2 et promu chez Williams en F1), la prestation du Néerlandais méritait une récompense plus importante que la Formule Electrique, qu’il a également remporté dans sa deuxième saison, au volant d’une Mercedes (première saison comptant comme un championnat du monde, d’ailleurs) face à un plateau relevé. En lice face à Albon pour épauler ce même Latifi en 2022, De Vries pourrait avoir sa chance en 2023 si le retour du Thaïlandais se révèle peu convaincant. Notons également que son coéquipier chez ART en 2019 finit 18ème au championnat avec 11 petits points et se nomme… Nikita Mazepin.
Callum Ilott fera peut-être partie des grands déçus. Membre de la Ferrari Driver Academy (FDA) et pilote de réserve de la Scuderia en 2021, l’Anglais ne démérite clairement pas. Vice-champion de la saison 2020 pour 14 petits points derrière Mick Schumacher (année au cours de laquelle il faisait équipe avec Guanyu Zhou), sa carrière se dessine du côté des Etats-Unis, puisqu’il participera au champion d’IndyCar 2022 pour le Juncos Hollinger Racing. Ce genre de décision s’apparente généralement à un aller simple, d’autant que Ferrari n’a plus le pouvoir de placer ses apprentis dans ses écuries clientes (Giovinazzi en ayant fait les frais récemment).
Robert Schwartzman semble avoir le bon profil pour rejoindre la F1. Lui aussi membre de la FDA et soutenu par la filière russe SMP (ayant réussi l’exploit d’obtenir un volant à Sergei Sirotkin, excusez du peu), ses résultats sont prometteurs : champion 2018 de la Toyota Racing Series en Nouvelle Zélande (comme Stroll et Norris avant lui), champion l’année suivante en Formule 3 et enfin quatrième puis second en F2 chez Prema, avec six victoires en tout. Son principal problème vient peut-être du fait qu’il a été l’équipier des deux derniers champions de la discipline, à savoir Mick Schumacher et Oscar Piastri. Il manque également un peu de réussite et de constance au pilote russe pour l’instant, mais un tel pilote serait une bouffée d’air frais pour la F1. Malheureusement sans volant pour l’année 2022, lui aussi pourrait faire partie des grands actes manqués.
En parlant de déception, beaucoup ont ressenti la nomination de Zhou chez Sauber au détriment Théo Pourchaire comme telle. Mais il n’en est rien. Le Français de tout juste 18 ans est soutenu par Sauber et tenu en haute estime par Frédéric Vasseur. Vice-champion de F3 (derrière Piastri) pour sa première saison, il poursuit en F2 chez ART et termine 5ème du championnat (malgré deux blessures) avec deux victoires dont une à Monaco. Il écrase également son coéquipier Christian Lundgaard, 90 points derrière et seulement 12ème au championnat. Une deuxième saison chez ART lui sera bénéfique, avec pour objectif le titre et un baquet en 2023, même si on le sait, rien n’est acquis.
Et effectivement, Oscar Piastri peut en témoigner. L’Australien est peut-être la source d’inspiration principale de cet article. Champion de F3 2020 en tant que rookie, il réitère en 2021 en F2, toujours chez Prema. Quatre poles successives, six victoires dont les quatre dernières courses principales, 60,5 points d’avance sur son dauphin, les statistiques de Piastri sont impressionnantes. Pourtant, aucun volant ne lui est pour l’instant attribué pour 2022, et encore moins en F1. Oscar Piastri est le symbole même du jeune talentueux au mauvais endroit au mauvais moment. Protégé d’Alpine, son avenir ne peut s’écrire ailleurs que dans l’écurie française, mais comment remercier Ocon, vainqueur d’un Grand Prix de Hongrie mémorable (et de toute façon déjà prolongé pour trois ans supplémentaires) ou Alonso, pilote emblématique de Renault (à qui Alpine appartient) et dernier pilote à avoir fait gagner un championnat à Enstone ? Ce dilemme pourrait coûter une chance à un pilote fait du même bois qu’un Leclerc, Norris ou Russell et dénoncerait tout le système de filière mis en place par les équipes (déjà bien ébranlé par la gestion des pilotes chez Red Bull). Si la F1 veut rester pertinente, un tel pilote doit courir au plus haut niveau, dans une équipe de pointe.
Drugovich, Ticktum, Daruvala, Lawson, Vips, Doohan sont d’autant d’autres noms pouvant prétendre à une place légitime dans le Formula One circus, après des résultats probants dans l’antichambre de la F1. Tous ne rejoindront pas la discipline reine, mais les visages de demain sont dans cette grosse poignée de pilotes. Quatre d’entre eux étant d’ailleurs pilotes de la filière Red Bull, Pérez et Tsunoda ont du mouron à se faire après une saison 2021 en demi-teinte, et il y aura forcément des déçus.
Ainsi, n’est-il pas temps pour les pilotes vieillissant de se ranger et de laisser place à une nouvelle vague ?
Vettel a été remercié par Ferrari suite à un bilan mitigé et une cohabitation tendue avec Leclerc, du moins sur la piste, pour enchaîner sur une saison toute aussi décevante (un seul podium, 12ème au championnat). Le nouveau règlement pourrait rebattre les cartes, mais Aston Martin sera-t-elle en mesure de lui offrir une monoplace capable de jouer les premiers rôles pour sa quinzième saison complète en F1 ? Il n’est décemment pas concevable qu’un quadruple champion du monde se contente de moins.
Fernando Alonso, à la poursuite de son troisième titre depuis 15 ans maintenant, pourrait se voir frustré par une énième saison de transition de l’écurie d’Enstone (courant sous le nom d’Alpine depuis 2021), bien que son état d’esprit semble avoir changé depuis son relais en endurance. Il n’empêche qu’à 41 ans, même s’il a offert des moments incroyables la saison passée au volant de l’A521, l’Ibère n’a pas dominé Esteban Ocon et il est peut-être temps de refermer son riche et dense chapitre en monoplace.
Daniel Ricciardo, peu probant depuis son départ de Red Bull, a connu une saison difficile, au point de se faire prendre un tour par son jeune équipier à Monaco. Sa victoire à Monza (menant le seul doublé de la saison !) est certes une belle consolation, mais l’Australien, aussi sympathique soit-il, continuera à avoir la vie dure en 2022, ce qui pourrait ternir définitivement sa réputation, et sa carrière par la même occasion, après onze saisons. Le test de Patricio O’Ward dans la McLaren après le Grand Prix d’Abu Dhabi doit également être perçu comme un signe fort, l’écurie de Woking n’hésitant pas à faire mûrir des novices ces dernières années.
Bottas, dont j’ai déjà parlé un peu plus tôt, courra sa dixième saison en rejoignant une écurie aux prétentions modestes et vouée à se battre pour sortir de la Q1 le samedi et combattre hors des points le dimanche. Ce alors que son bilan dans le peloton a été déplorable depuis 2017, malgré 5 monoplaces championnes du monde. Définitivement, le Finlandais semble plus proche de la sortie, pour ne pas dire dans une voie de garage.
Évidemment, d’autres jeunes pilotes déjà présents en F1 ne sont pas forcément plus enthousiasmants que ces pilotes en fin de carrière (pas forcément déclinants), et doivent leurs places plus à la fortune paternelle qu’à un vrai coup de volant d’exception.
Espérons qu’en 2023, les jeunes aient les opportunités qui leur reviennent de droit, et si possible que les meilleurs d’entre eux soient sur la grille !
Thomas Felizardo
Crédits photos :
Charles Leclerc et Pierre Gasly : Le Point
Présentation des voitures Championnes du Monde 2021 : F1i
Départ du Grand Prix de Sakhir 2020 : Tech Tribune
Callum Illott : F1i
Sacre de Piastri : FIA Formula 2
Accrochage Leclerc-Vettel, GP du Brésil 2019 : Racefans