Pionnier lors de son arrivée en 2014, le championnat de Formule E semble régresser année après année. Très inquiétant alors qu’il vient d’être labélisé championnat du Monde et qu’il doit représenter l’avenir de la monoplace à long terme.
Cette 7ème saison de Formule E fut décidément bien surprenante. Avant la dernière double-manche à Berlin qui a couronné Nick de Vries, 18 pilotes pouvaient encore être champions du monde. Si dans tout autre championnat automobile, un tel suspens serait synonyme de saison fantastique, il n’en est rien ici. L’édition 2020-21 doit surtout son suspens à un format sportif injuste, des décisions des commissaires incompréhensibles et un esprit à l’opposée de ce qui a fait le sel de la discipline à ses début. Aussi, au lieu d’énumérer froidement tous les manquements de cette année, comparons, et pas que sportivement, ce qui a changé depuis le début, et pas pour le mieux.
Equité sportive, où es-tu ?
Lorsque la Formule E est arrivée dans le monde du sport auto, elle a mis beaucoup de championnat à des années lumières en terme de compréhension des attentes du public. Des voitures toutes identiques, aux performances donc égales (à une époque où la F1 était composée d’un peloton à 4 vitesses), des livrées toutes plus variées les unes que les autres (quand le gris et le rouge étaient légions en F1, WEC et WTCC) et surtout l’inclusion des fans dans le destin de la course grâce au fan-boost. Pour le reste, tout était mis en place pour que l’équité sportive soit le maitre mot et le spectacle était donc créé en piste par des pilotes pour la grand majorité compétents (18 des 35 pilotes classés ont pris part à un Grand Prix de F1).
Sauf que depuis la saison 2, et le libre choix du groupe propulseur, la qualité des courses n’a fait que décroitre, obligeant les instances à mettre en place de nouveaux artifices pour animer la course. Outre l’Attack Mode, que chacun est libre de jugé (et qui personnellement ne me dérange pas), c’est surtout le changement du système de qualification qui pose problème aujourd’hui. Les groupes de qualifications, autrefois établis au hasard, sont désormais déterminé par l’ordre du championnat. Les 5 premiers étant donc dans le même groupe de qualification, leurs chances de se gêner sont donc plus important et les prétendants au titres se retrouvent donc en fond de grille seulement à cause de ce système et non de leur performance. Un système qui, sur les 15 courses de la saison, n’a permis qu’à 16% des pilotes ayant atteint un top 5 de réitéré la performance la course suivante. Mais ce système de qualification n’est pas le seul problème de la FE actuelle.
Léger c’est mieux
Lors de sa saison initiale, la FE n’avait pas de référence pour construire ses circuits. Nous avons donc vu débarquer au calendrier des pistes larges, propices au dépassement (à Pékin, Putrajaya, Buenos Aires ou encore Miami) et parfois mêmes vallonnées et assez plaisantes à suivre (Punta del Este ou Moscou). Les années passant, les circuits sont devenus de plus en plus étroits, avec une largeur suffisante pour une seule voiture sur l’essentiel d’un tour.
Sauf que dans le même temps, les Formule E ont évoluées. A la base légères et peu puissantes, elles étaient parfaitement adaptées aux circuits sur lesquels elles courraient. L’introduction de la Gen2 en 2018, plus lourde et plus puissante, couplée à ces circuits de plus en plus étroits, nous a offert des courses beaucoup moins passionnantes que durant les premières saisons, obligeant le championnat à introduire les artifices dont nous avons parlé précédemment.
Et puis, exit la promesse de circuits dans les centres-villes du monde entier, nous avons très vite vu débarquer des pistes sur des aéroports (Berlin), sur des circuits permanents (Mexico, Valence, Puebla) ou dans des zones périurbaines sans grande population (Al-Diriyah, Sanya, Marrakesh, Brooklyn) sans oublier le ridicule tracé de Londres dans un parc.
Nos amis les fans
Ce qui a fait la force de la Formule E lors des premières saison, c’est aussi ce format de course sur un jour. Certes dicté par la nécessité de ne pas boucher une ville pendant 3 jours, il a permis à des fans de sport auto de se rendre sur l’évènement le matin même et de repartir le soir chez eux, sans dépenser pour autre chose que la course. Mais les années passant, certains circuits se sont vus obtenir deux courses le même week-end au lieu d’une, remettant en cause ce modèle peu cher pour les fans. Ainsi, depuis la saison 2016-2017 (bien avant les excuses de calendrier COVID), le championnat nous a offert deux à trois week-ends de 2 courses par saison, ces secondes courses étant le plus souvent moins passionnantes dû à un circuit maitrisé par les pilotes et une piste rendue propre par le premier jour de course.
Les fans justement parlons-en. Depuis quelques années, l’accès aux pistes de Formule E devient de plus en plus difficile, des panneaux publicitaires recouvrant la plupart des côtés de la piste, laissant aux fans de maigres portions d’où ils peuvent voir le spectacle, comme ce fût le cas à Paris en 2016. Des spectateurs simplement pris pour des consommateurs, à qui on n’offre aucune animation lors des périodes sans courses (qui va donc y aller avec ses enfants ?) et aucune visibilité lors des périodes de course. A l’heure d’un monde connecté entre ligues de sport et fans, et à un moment où même la très froide F1 fait des efforts pour attirer le public, la Formule E a pris un temps de retard qu’elle peine à combler.
Impossible à suivre à distance
Et puis il y a aussi ce qu’est devenu la Formule E à la télévision. A ses débuts, les infographies étaient claires, peu nombreuses et nous donnaient l’essentiel des infos durant la course. Aujourd’hui, entre les tableaux de puissances, de durée d’attack mode et surtout l’horrible filtre sur les caméras onboard qui assombrit l’écran, la Formule E est devenue moins agréable à suivre à la TV.
Surtout, c’est le manque cruel d’information sur ce qu’il se passe en piste, avant, pendant et après la course qui pose problème. Cette saison, la Formule E nous a offert plusieurs week-end chaotiques, au Mexique et en Espagne notamment, où personne ne savait qui avait gagné et personne ne savait quels étaient les motifs de disqualification de tel ou tel pilote. Dans ces conditions, il devient de moins en moins agréable de suivre un championnat qui ressemble à une loterie sans mérite sportif.
Et c’est aussi là que le bas blesse. Lors des premières saisons, tout était expliqué au spectateur, toutes les radios étaient décortiquées, nous donnant accès à toutes les clés de la course durant son déroulement. Aujourd’hui, à l’heure où la F1, l’IndyCar et consorts semblent avoir comblés ce retard, la FE a régressé, préférant même inviter des youtubeurs pour parler à ses fans plutôt que d’interagir directement avec ces mêmes fans.
Quel avenir ?
Ce qui a surtout changé entre les débuts de la Formule E en 2014 et aujourd’hui, c’est l’arrivée de grand constructeurs (dont le groupe VAG) qui ont poussé, petit à petit, à développer le championnat artificiellement, avec un train de vie qui ne correspondait ni aux revenus, ni aux audiences de la FE. Un parti pris commercial qui a refroidit les fans du premier jour, ceux qui retrouvaient dans la FE le charme et la proximité qu’avait (à l’époque) perdu la F1. Mais comme depuis la nuit des temps, ces constructeurs s’en vont aujourd’hui pour suivre leur stratégie commerciale. Alors peut-être qu’il serait temps pour la Formule E de revenir à ses bases. Réduire le poids des monoplaces, rapprocher les fans sur les circuits, repenser les tracés (oui, Buenos Aires et Moscou me manquent), simplifier le règlement sportif et être indépendant de la volonté de quelques grands groupes.
La Formule E doit vite réagir, car dans 10 ans, le thermique aura disparu du sport auto et c’est à elle de montrer la voie, pour développer les technologies de demain en attirant les fans aujourd’hui.
Clément Chatellier
Crédits photos :
ePrix de Sanya : FIA Formula E
ePrix de Miami 2015: FIA.com
ePrix de Pékin 2014: L’agenda de l’automobile
ePrix de Hong Kong 2016 : FIA Formula E