Régulièrement, j’essaierai de défendre l’arrivée ou le retour de circuits au calendrier de la Formule 1
Nous en sommes seulement au deuxième épisode de cette série mais il faut bien avouer que depuis ma déclaration d’amour à Magny-Cours, bien des choses se sont déroulées. J’aurais voulu faire la propagande d’Istanbul Park, d’Imola et d’Algavre pour leur retour au calendrier mais elle s’est faite d’elle-même, et va continuer – du moins pour le circuit italien. Aussi il est temps désormais de s’attaquer à une nouvelle propagande : la F1 doit revenir à Kyalami !
Un outil politique
Comme souvent dans l’histoire de la F1, et dans l’histoire du sport tout court, lorsqu’un pays accueille une course, c’est avant tout un outil de propagande pour le monde entier. Le Grand Prix d’Afrique du Sud ne fait pas exception. Lorsque la F1 arrive à East London, premier circuit avant Kyalami, le pays est en plein conflit entre d’un côté le NP, parti pro-apartheid alors au pouvoir, et de l’autre l’ANC et l’Umkhonto we Sizwe (dont fait partie un certain Nelson Mandela). Alors que le futur président est emprisonné deux ans plus tard, le NP se sert de son Grand Prix pour montrer la grandeur de l’Afrique du Sud (comprenez de la race blanche sud-africaine) et a bien l’intention de rapprocher la course de la capitale. Ça tombe bien, près de Johannesburg, un circuit vient de se construire. Son nom ? Kyalami.
La gloire…
Le circuit, situé au nord de la capitale, tranche avec la piste d’East London. Oubliez le circuit côtier étroit et sinueux ! Ce nouveau tracé de 4.094 km est rapide et large. Tout de suite aimé des pilotes, il comporte toutefois plusieurs dangers dont cette fameuse ligne droite de départ dont la première partie se fait en montée et la seconde partie en descente, la bascule entre les deux rendant impossible la visibilité. Cette dangerosité a déjà causé trois décès en sport car avant 1967 et l’arrivée de la catégorie reine. Mais comme trop souvent cela ne semble pas effrayer le petit monde de la F1 qui se montre dithyrambique sur le tracé lors des premières années. Des légères modifications autour de la piste seront apportées après le décès de Brian Ferreira, pilote local, lors des 9h de Kyalami de 1972.
…la mort…
Seulement 5 ans après, lors du Grand Prix 1977, l’horreur se produit. Au 22ème tour, la Shadow DN8 de Renzo Zorzi s’embrase peu avant la ligne d’arrivée. Le pilote italien sort de sa monoplace en catastrophe après l’avoir laissé en face des stands et part se mettre à l’abri. Deux commissaires, William Bill et Frederik Jansen van Vuuren, situés de l’autre coté de la piste, décident de traverser pour éteindre l’incendie. Alors qu’ils sont sur la piste, les voitures de Hans-Joachim Stuck et Tom Pryce arrivent dans la ligne droite sans voir les deux hommes. Si le pilote allemand évite les commissaires, Pryce percute Jansen van Vuuren à pleine vitesse. L’extincteur que transporte le marshall heurte le casque de Pryce et les deux hommes sont tués sur le coup. La Shadow continue sa route et se déporte sur la Ligier de Jacques Laffite, envoyant le Français dans le mur.
et puis l’oubli…
A la suite de cet accident, les éditions se suivent et sont marquées du voile sombre de cette édition 1977. Les sanctions internationales pour contrer le régime de l’Apartheid entrainent l’arrêt de l’épreuve après l’édition 1985. La F1 reviendra en Afrique du Sud en 1992 à la suite de travaux qui ont complétement modifié le tracé. Celui-ci est désormais bien plus tortueux et ne facilite pas les dépassements. La ligne droite de départ est trop courte et en courbe, tranchant avec l’esprit du premier tracé.
Finalement ce nouveau circuit sera abandonné après deux éditions et la faillite du promoteur. Et durant les années 90 et 2000, très peu d’épreuves s’y dérouleront, la faute à un circuit aux normes obsolètes et à une concurrence émergente de tracés asiatiques (Sepang, Sentul, Sakhir et Shanghai notamment) plus modernes.
Le retour en grâce
Depuis 2015 et le rachat par Porsche South Africa, le circuit s’est modernisé, la ligne droite de départ a été modifié et il possède désormais le grade 2 lui permettant d’accueillir des courses internationales (hors F1). L’Intercontinental GT Challenge s’y rend depuis 2019 et le WEC devait s’y rendre avant que la pandémie mondiale ne change la donne. Pourtant tout semble enfin aller dans le bon sens pour que l’Afrique retrouve un Grand Prix. Quel meilleur symbole que la nation arc-en-ciel pour célébrer ce retour ?
Un parfait héritage
La nouvelle version de Kyalami reprend les éléments symboliques des deux tracés précédents. Une ligne droite de départ longue, large comme sur le tracé originel et des virages avec dénivelé comme sur le tracé des nineties, tout en gardant la partie commune aux deux circuits, entre les virages de Barbeque et Leeukop. Le résultat est réussi, il plait aux pilotes de GT et offre un circuit technique comme en demandent les pilotes actuels de F1. Ce tracé, croisement entre un Hungaroring (pour l’enchainement de virages) et un Portimao (pour le dénivelé) est une immense opportunité pour la F1 d’enfin investir le continent africain par un autre biais que les dictatures tout en le faisant sur un pan de son histoire.
Clément Chatellier
Crédits photos :
Paddock de Kyalami : Kyalami Grand Prix Circuit
Départ du Grand Prix 1976 : Scuderia Ferrari Club Riga
Photo aérienne de Kyalami ancien et nouveau tracé : l’équipe
Départ des 9h de Kyalami 2019 : Endurance24