Après Monza, Ross Brawn a de nouveau poussé pour que les grilles inversées soient testées en Formule 1. Pour l’année prochaine, il n’aura besoin que du soutien de 8 équipes au lieu d’une unanimité. Qu’est-ce qu’une telle décision impliquerait pour la F1 moderne ?
Des circonstances exceptionnelles
Grand Prix d’Italie 2020, tour 18. La Haas de Kevin Magnussen s’arrête en bord de piste, au bout de l’allée des stands, moteur coupé. Pierre Gasly s’arrête dans la foulée pour changer ses pneus. La position de la Haas contraint la direction de course à fermer la voie des stands et à déployer la voiture de sécurité. Hamilton s’arrête sans comprendre que la voie des stands est fermée et prend une pénalité. À la relance, Charles Leclerc perd le contrôle de sa Ferrari dans la Parabolique, entraînant une interruption de la course.
Au second départ, tour 28, Gasly est troisième derrière Hamilton et Stroll, qui a changé ses pneus pendant le drapeau rouge. Tous les ingrédients sont réunis pour quinze tours mouvementés et la première victoire d’un pilote français depuis 1996, un podium inédit, le second pour chacun des jeunes pilotes présents ainsi que la deuxième victoire du petit team de Faenza (après celle de Vettel en 2008 sous le nom Toro Rosso).
L’os à ronger de Ross Brawn
Le Grand Prix a beaucoup fait parler de lui, et pas seulement en France où 1,24 millions de téléspectateurs ont suivi le dernier tour mais dans tout le landerneau de la F1. Il n’a pas fallu bien longtemps à Ross Brawn pour relancer l’idée d’une course sprint pour déterminer la pole le samedi, course sprint dont la grille de départ serait déterminée par l’ordre inversé du championnat. Son raisonnement est simple : la résultat inattendu de la course a généré de l’intérêt. Le résultat inattendu a été permis par la « grille inversée » résultant de la fermeture de la voie des stands et du drapeau rouge. Il faut donc répliquer l’opération tous les week-end pour générer du spectacle et de l’intérêt.
Il est étrange de constater que Ross Brawn, dont l’impact sur le sport est immense, tant par son travail de directeur technique de Benetton, Ferrari, Brawn puis Mercedes que par son travail actuel au sein de la FOM, se fourvoie autant sur cette mesure, autant d’un point de vue historique que sportif.
Une mesure contraire à l’histoire de la F1
Commençons par le plan historique. Quelque soit le système utilisé, le samedi a toujours été la journée pendant laquelle les pilotes et les équipes cherchaient à savoir qui d’entre eux était le plus rapide sur un tour. Une vingtaine de virages à fond, des réflexes poussés à leur maximum, une voiture dans sa configuration la plus agressive. Fût un temps où les équipes utilisaient même un moteur conçu spécialement pour l’exercice – le temps des moteurs BMW poussés à 20 000 tours n’est pas si loin pourtant. Déjà les manœuvres de la FIA pour imposer aux pilotes de faire leur tour avec leur premier plein d’essence (par la suite avec les pneus de leur premier relais) avaient gâché la beauté de l’exercice selon certains puristes. Aujourd’hui, on est revenu à un système où les dix meilleurs pilotes, du moins, peuvent attaquer à fond.
La course est un exercice différent où la stratégie et l’intelligence de course du pilote prennent le pas. Les palmarès de Senna et Prost en attestent : l’un s’épanouissait dans la beauté d’un tour de pure vitesse, l’autre attendait le dimanche pour faire éclater sa science de la course. Un Lewis Hamilton excellent dans les deux exercices est finalement assez rare. Ajouter une course le samedi diminue les chances d’un Trulli ou d’un Webber de sortir un tour de nulle part et remet en avant les pilotes qui brillent par leur gestion de la stratégie plus que leur vitesse pure. L’exercice peut être intéressant dans les formules de promotion, afin de permettre aux jeunes pilotes les plus rapides qui rouleraient dans les grosses écuries d’apprendre à pilote dans le peloton et à remonter vers la plus haute marche du podium, mais est-ce digne d’un championnat du monde ?
Une mauvaise réponse à un faux-problème ?
Il existe d’autres arguments, plus sportifs qu’idéologiques, contre la course de sprint à la grille inversée. Ross Brawn se trompe en pensant que l’intérêt des spectateurs pour la course à Monza a été ranimé par une « grille inversée ». Il l’a été par les éléments inattendus de la course, par les décisions stratégiques prises au bon moment, par l’envie de deux jeunes pilotes de gagner leur première course, bref, par le changement radical du profil du weekend par rapport aux weekends précédents. Répétez cela tous les weekends et les spectateurs diront que c’est la loterie, que le meilleur pilote ne gagne pas, ni la meilleure équipe ! Quel serait l’intérêt de suivre un championnat qui serait une loterie, dont le champion ne serait pas le meilleur pilote ou la meilleure équipe ?
On présente souvent l’IndyCar comme un exemple de championnat très incertain, dans lequel le dernier peut gagner et où il y a quasiment un vainqueur différent à chaque course. C’est vrai – en partie… Mais on remarquera que l’IndyCar ne repose sur aucun artifice tel une grille inversée, un système de BoP ou de lest. Alors quelle est la recette ? La Formule 1 peut-elle s’en inspirer pour rehausser le spectacle ? Au-delà de la principale différence entre les deux séries – à savoir que l’une est une série monotype et l’autre une série de constructeurs de voitures qui sont sensées être différentes – la principale raison pour laquelle l’IndyCar offre un spectacle si intéressant tient dans la régularité des faits de course qui rebattent les cartes, tandis que les voitures peuvent se suivre, ce qui permet à chaque pilote d’essayer de faire fonctionner sa stratégie et de profiter de la moindre opportunité pour gagner des places.
On voit déjà comment la philosophie de laisser les pilotes se battre donne déjà des résultats intéressants, mais certaines courses restent parfois pauvres en événements. Au final, la Formule 1 gagnerait peut-être à être moins fiable ? La politique de réduction des coûts a imposé des pièces qui tiennent cinq ou six courses, si ce n’est plus, mais a-t-elle réduit le spectacle ? Les courses finissant à 20 voitures ne sont plus si rares que ça et le dernier Grand Prix de l’Eifel a montré combien une fiabilité défaillante pouvait relancer une course et surtout faire varier les têtes sur le podium. Depuis 2014, rares ont été les pilotes du milieu de grille à pouvoir profiter d’un faux-pas des top-teams pour signer un podium, encore moins une victoire. Les podiums des Force India (devenues Racing Point), Williams, McLaren, AlphaTauri et autres Renault se comptent sur les doigts des deux mains.
Le problème est-il déjà sur le point de se régler ?
On peut constater que les critiques adressées à la Formule 1 concernent surtout les trois premières places. C’est vrai que si l’on se contente de regarder la page résultats sur Wikipedia ou dans L’Équipe, on peut penser que la F1 est un sport ennuyeux, dont les résultats sont toujours les mêmes. Il suffit tout de même de regarder un peu au-delà pour voir que le milieu de grille est extrêmement compétitif, et de plus en plus resserré au fil des années. La bataille pour la troisième place du championnat est édifiante : trois équipes se tiennent en 6 points – sans prendre en compte les points de pénalité de Racing Point, leurs batailles nous tiennent en haleine chaque dimanche. Les budgets capés arrivent probablement à point nommé pour forcer Mercedes, Red Bull et Ferrari à opérer dans une fourchette budgétaire à laquelle Renault, McLaren et Aston Martin seront déjà habitués.
Clyde Dlugy-Belmont
Crédits photos
Alonso à Monaco : GoTuning Blog
Podium Italie 2020 : Formula 1
Jim Clark : AutoHebdo
IndyCar : US-Racing