En douze ans de carrière, une seule victoire pour le pilote français. La copie a l’air bénigne face à des ténors tels qu’Alain Prost. Moqué et décrié à de multiples reprises, Multi21 a mené une enquête de fond pour rendre à Jeannot ce qui est à Jeannot.
C’est en 1989 que le grand public découvre ce jeune pilote fraîchement arrivé chez Tyrrell [pour suppléer Michele Alboreto licencié suite à une sombre histoire de sponsoring : ndlr] et qui dispute son Grand-Prix national. Au beau milieu des invincibles McLaren-Honda de Prost et Senna, de la montée en puissance des Ferrari de Mansell et Berger, des balbutiements de l’association Williams-Renault de Boutsen et Patrese ou encore de la Benetton de Nannini, pas simple de trouver sa place. au sein d’une écurie qui n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis quelques années…
Graine de champion ?
À l’arrivée de cette course au Paul-Ricard, une prometteuse quatrième place pour celui qui défend en parallèle ses chances pour le titre en catégorie inférieure (F3000). Marquer ses premiers points lors de sa première course n’est-elle pas la marque des grands à l’instar de Vettel ou Prost ? Une autre place au pied du podium à Jerez permet à Alesi, titré en F3000 dans l’écurie d’Eddie Jordan, de conserver son baquet pour la saison suivante, qui démarre sur les chapeaux de roues. Premier rendez-vous dans les rues étroites de Phoenix où le jeune loup offre une résistance de toute beauté face à « Magic » Senna, équipé d’une monture plus véloce. Une deuxième place qui vaut de l’or pour le Français et de bel augure pour les courses à venir. Il récidive dans les rues de la Principauté, toujours derrière le Brésilien même si par la suite la fiabilité perfectible de sa Tyrrell lui vaut de belles déceptions à l’instar d’une violente sortie de piste à Suzuka qui l’oblige à déclarer forfait pour la course. Courtisé par Williams qui ne souhaite pas prolonger Thierry Boutsen – malgré les belles prestations du Belge et les progrès encourageants de Renault – ce fils au sang sicilien de par sa mère ne peut que succomber à l’offre alléchante de Ferrari, suite au départ de Nigel Mansell qui rentre au bercail [chez Williams : ndlr], aux côtés de son idole : Alain Prost, héros malheureux d’une saison brillante et intelligente. La 641 a résolu ses problèmes de fiabilité en ce qui concerne la boîte de vitesses semi-automatique mis au point par le talentueux John Barnard dont Maranello s’est séparé.
Saisons en enfer
Jean Alesi sait qu’il lui reste beaucoup à apprendre, bien que son ascension fulgurante dans la catégorie reine rende les observateurs unanimes : ce gars se battra pour les championnats à venir. Et quelle écurie plus prestigieuse que Ferrai avec pour mentor le plus capé des pilotes français en activité ! Tous les ingrédients semblent réunis pour faire de cette saison 1991 un rêvé étoilé pour le successeur tout désigné du Professeur. Le rêve va virer au cauchemar, la faute à une monoplace rétive, une ambiance électrique, du fait des tractions en coulisses menées par Cesare Fiorio, directeur sportif, pour reformer le duo infernal Senna-Prost. Seuls trois podiums viennent toutefois récompenser les efforts de Jean au coeur d’une guerre politique qui conduira à l’éviction de Prost avant le terme de la saison.
La saison qui suit n’est guère meilleure puisque la F92A et sa devancière (la F92T) manquent de compétitivité. Ce n’est qu’à l’été 1993 qu’un autre Français, un autre Jean, débarqué de chez Peugeot-Talbot Sport, arrive à Maranello avec pour mission de remettre le Cheval cabré sur le droit chemin. Retour aux commandes de John Barnard qui enfante une 412T1 – enfin compétitive – et qui permet à la Scuderia Ferrari de redresser lentement la tête. Une pôle et quatre podiums dans l’escarcelle du Français mais moins bon que son équipier Gerhard Berger, victorieux en Allemagne et auteur de six podiums.
Sortie du tunnel ?
1995 est dans la continuité des progrès entrevus l’année précédente, grâce au remaniement opéré par Jean Todt qui commence à porter ses fruits et à Barnard qui s’évertue à faire progresser une base saine. La 412T2 semble prometteuse lors des essais hivernaux et pourtant, dès l’entame de la saison, les débats sont dominés par Schumacher et Hill – la Benetton étant désormais équipée du même bloc que la Williams – tandis que les Rouges jouent les outsiders avec Alesi et Berger qui complètent les podiums. C’est au Canada – sixième épreuve du championnat – que Schumacher, leader de la course, rentre précipitamment aux stands pour corriger un dysfonctionnement sur sa boîte de vitesses, laissant le champ libre à son poursuivant immédiat : Jean Alesi. C’est donc au terme de 92 engagements que le Français monte sur la plus haute marche du podium, bien que trahi par sa mécanique juste après avoir franchi la ligne d’arrivée. Quelques semaines plus tard, le vainqueur de Montréal mène le Grand Prix d’Italie à Monza mais est contraint à l’abandon suite à une défaillance technique. Terrible désillusion pour le Français malgré le réconfort de son compatriote et patron. Son contrat n’est pas reconduit pour la saison 1996, Luca Di Montezemolo et Jean Todt souhaitant s’offrir les services de Schumacher qui remporte sa deuxième couronne mondiale et offre à Benetton son (seul) titre constructeur. Alesi et Berger atterrissent donc dans l’écurie dirigée par Flavio Briatore. Persuadé de piloter une monoplace en mesure de jouer le titre, l’Avignonnais va vite déchanter… encore une fois.
Pente décroissante
Après deux années récompensées par des podiums réguliers mais où Alesi peine à s’acclimater, il est remercié par Briatore qui souhaite placer son protégé Giancarlo Fisichella et l’Autrichien Alexander Wurz, brillant remplaçant du futur retraité Berger en 1997. Il trouve refuge chez Sauber et bien que la voiture manque de performance, c’est au Grand-Prix de Belgique qu’Alesi va faire parler sa science de la course. Après un énorme carton à la sortie de l’épingle de la Source, puis les abandons successifs des leaders, Alesi vient compléter un podium inespéré derrière le premier (et dernier) doublé Jordan de Damon Hill et Ralf Schumacher.
La saison 1999 ne sera pas du même cru avec peu de points et une première ligne comme seul fait d’armes à Magny-Cours et, alors qu’il se retrouve sans volant, l’élève croise la route du Professeur – une fois encore. Le vétéran rejoint donc la structure bâtie sur les cendres de l’écurie Ligier. La saison 2000 est un véritable fiasco avec un zéro pointé ! Monoplace mal née, moteur peu fiable, l’amertume est de mise pour l’ex-pilote Sauber.
En proie à des difficultés financières importantes, Prost Grand-Prix signe un partenariat technique avec Ferrari pour des moteurs rebadgés Acer. Renaissance ? Pas vraiment. Deux sixièmes places (Monaco et Allemagne) et une cinquième place obtenue avec brio au Canada seront les seuls lots de consolation pour l’écurie française qui est mise en liquidation judiciaire en fin de saison. Alain Prost libère Alesi de ses obligations après le Grand-Prix d’Allemagne, suite à des déclarations assassines dans la presse. Ce dernier va se rappeler au bon souvenir d’Eddie Jordan et un échange avec Frentzen est opéré. Souvent qualifié à l’arrière, l’ancien champion F3000 s’efforce de compenser avec son pilotage intelligent. Il arrache une sixième place à Spa et inscrit son dernier point en carrière. À Indianapolis, Jean Alesi célèbre son 200ème départ en Grand-Prix mais il s’accroche avec Räikkönen à Suzuka lors de la manche de clôture. Sortie par la petite porte pour l’homme aux espoirs déchus.
Après plusieurs années dans le championnat de tourisme allemand (DTM) et une prestation désastreuse aux 500 miles d’Indianapolis en 2011 [il reçoit le drapeau noir car trop lent : ndlr], le tricolore raccroche définitivement en 2012. Il devient ambassadeur et parrain de l’écurie de pilotage GT Drive basée au circuit Paul Ricard en 2015, puis naît la Jean Alesi eSports Academy en 2018 avec pour objectif de dénicher les futurs talents du volant de demain via le monde de la simulation de plus en plus proche de la réalité.
L’heure du bilan
Passé par des écuries prestigieuses (Tyrrell et Ferrari) ou capables de jouer les premiers rôles (Benetton et Jordan), la carrière de l’ancien pilote de DTM demeure faiblement récompensée, comparé à son plein potentiel et sa vitesse. À l’image d’un Fernando Alonso, de mauvais choix de carrière l’ont conduit à une série de rendez-vous manqués. Et s’il avait signé chez Williams ? Rien ne prouve que le partenariat avec l’écurie de Didcot se serait conclu par un sacre face à des ogres comme Mansell, Prost ou Senna. Accablé par la malchance le plus souvent, son unique victoire est venue récompenser ses années de dur labeur.
Et il peut se targuer d’avoir triomphé, là où Jean Behra, Henri Pescarolo, Jean-Pierre Jarier ou encore le vétéran Andrea de Cesaris ont échoué. Souvent raillé – injustement par les Guignols sur Canal+ – pour ses nombreuses sorties de piste, il était juste de rétablir la vérité en mettant en exergue ses nombreux abandons plus souvent dus à un matériel perfectible qu’à des accrochages multirécidivistes. L’ancien coureur automobile gère également la carrière de son fiston Giovanni, qui évolue actuellement en F2. Reste que cet homme d’un naturel timide – mais capable de s’exprimer sans vergogne – a fait parler le choix du cœur après un appel que nul n’aurait refusé, Senna en premier. Excellent metteur au point et reconnu pour son pilotage agressif, il savait tirer la quintessence d’un bolide moyen pour grappiller ne serait-ce que quelques points.
Pierre Meslait
Crédits Photos :
Alesi Castellet : Fickr
Tyrrell 019 : Motorsport Images
Alesi Prost Ferrari : lemagsportauto
Monaco 1992 : Wikipedia
Victoire Canada 1995 : Motorsport
Bentton Monaco 1996 : Motorsport
Prost Peugeot 2000 : alainprost.net
Alesi-Räikkönen 2001 : skyrock
Indy 500 Lotus 2011 : luxuriousmagazine
Alesi Williams F1 : F1i-auto-moto
Phoenix duel Senna-Alesi 1990 : ayrtonsenna.com